Site icon La Bibliotheque Italienne

Entretien avec Marguerite Pozzoli, traductrice et responsable du domaine italien aux éditions Actes Sud

Par Gessica Franco Carlevero

Marguerite Pozzoli est la responsable du domaine italien aux éditions Actes Sud et la traductrice d’une soixantaine de romans et de livres d’art.

Lors de la rencontre avec Stefano Benni à L’istituto italiano di cultura de Marseille, je lui ai proposé de répondre à quelques questions sur son travail et sur son rapport avec la langue italienne. Voici les réponses qu’elle m’a transmises.

Vous êtes née en Italie, à Venise, de parents italiens, mais vous vivez en France depuis longtemps. Quel est votre rapport à l’italien et au français ? Quelle langue désigneriez-vous comme votre langue maternelle ?

Ma « première langue » a été l’italien, mais j’ai quitté l’Italie alors que je n’avais que cinq ans pour vivre en France, puis en Tunisie, puis de nouveau en France. Le français est donc devenu ma langue d’adoption. Mais j’ai toujours gardé le contact avec ma langue de cœur, l’italien. Et une de mes tantes italiennes me tançait vertement quand elle m’entendait parler français avec ma sœur, quand nous rentrions en Italie pour les vacances. Le français est pour moi la langue de la raison, de la distance, de l’ironie. L’italien celle de mes premières émotions, de mes racines.

Comment a commencé votre parcours pour devenir traductrice et comment s’est développée votre carrière ?

Adolescente, je rêvais d’écrire et/ou d’être interprète. Au lycée, j’aimais faire les versions latines… Je suis devenue traductrice par un heureux concours de circonstances, en faisant la connaissance des éditions Actes Sud dans les années 80. J’ai d’abord été lectrice, puis lectrice d’italien, puis traductrice, à l’occasion d’un roman que j’avais découvert et que je brûlais d’envie de traduire. Le directeur de l’époque, Hubert Nyssen, m’a donné ma chance. Je lui en suis profondément reconnaissante. Et je n’ai pas arrêté depuis.

Actuellement, vous enseignez la traduction littéraire à l’université d’Avignon et à l’ISTI de Bruxelles. Quel conseil donneriez-vous à un jeune traducteur qui veut exercer ce métier ?

Je n’enseigne plus à Avignon, et je le regrette un peu. J’enseigne la traduction par correspondance à l’ISTI de Bruxelles, et j’anime parfois des ateliers de traduction. Je conseillerais à un jeune aspirant traducteur de lire beaucoup, d’être curieux, attentif et patient. La traduction demande du recul et du temps, elle n’aime pas la précipitation.

Vous avez traduit beaucoup de livres différents comme Amours sans amour de Pirandello, Les Anges distraits de Pasolini, Bar 2000 et Margherita Dolcevita de Stefano Benni, La neige et la faute de Giorgio Pressburger, etc. Comment abordez-vous chaque texte ? Quel rapport entretenez-vous avec les auteurs vivants ?

Pour Pasolini, j’ai lu un maximum de livres de lui et sur lui ; et je suis allée voir les lieux où il a vécu. Je ne sais pas si cela a apporté quoi que ce soit à ma traduction, mais j’avais envie de le faire. Pour d’autres auteurs, l’approche est différente, plus immédiate. Mais il faut essayer d’entrer dans le monde de l’auteur, parfois lire ce qu’il a lu pour mieux entrer dans son univers mental. En tout cas, écouter intensément le texte. Si l’auteur est vivant, je suis toujours curieuse de le rencontrer, de faire sa connaissance. Après, la relation n’est jamais la même. Mais souvent, cela devient une relation privilégiée : car la traduction crée une intimité. Pas une complicité, je n’aime pas ce mot. Mais une relation faite d’estime et d’attention.

                        

Vous êtes la responsable du domaine italien aux éditions Actes Sud, comment vous orientez-vous dans le choix des auteurs italiens à traduire ?

Je n’ai pas de « politique » a priori. Je suis sensible aux œuvres qui me font entendre une vraie voix, authentique, qui sonne pour moi de manière nouvelle, qui me donne presque des fourmis au bout des doigts tellement est grand mon désir de les traduire !

Est-ce qu’il existe, selon vous, une caractéristique propre à la littérature italienne contemporaine ?

En ce moment, je trouve que le polar italien étouffe tout, comme une plante un peu invasive. Mais certains auteurs savent très bien renouveler le genre. La littérature italienne est plutôt ancrée dans des territoires ; cette caractéristique m’intéresse, si elle ne tombe pas dans la facilité et le « folklore ».

Y a-t-il des auteurs pas encore traduits en français et qui mériteraient, selon vous, d’être connus en France ?

Bien sûr. Filippo Tuena, par exemple. Ou Igiaba Scego.

Quel conseil donneriez-vous à un auteur italien pour proposer ses textes aux éditeurs français ?

Je lui conseillerais de se faire d’abord éditer en Italie. Par ailleurs, c’est à son agent ou à son éditeur de proposer ses textes à l’étranger.

Enfin, je vous propose un petit jeu. Il y a quelques années, en Italie, a été publié un Dictionnaire amoureux de la langue italienne (Dizionario affettivo della lingua italiana, Fandango) dans lequel un certain nombre d’écrivains ont donné leur propre définition sentimentale d’un mot. Aimeriez-vous nous donner votre définition ?

Définition du mot « lecture » : immersion amoureuse dans un texte qui vous lit autant que vous le lisez.

 

Quitter la version mobile