Une âme perdue, de Giovanni Arpino

Par une langue raffinée et directe, Arpino restitue la sensation d’égarement qui saisit les protagonistes, le lecteur vivant ainsi les froides nuitées hivernales de Turin

Par Miranda Martino

Traduction de Marta Somazzi 

Giovanni Arpino - La Bibliothèque italienneGiovanni Arpino est un auteur dont il faut reconnaître la juste place dans la littérature italienne, son œuvre ayant engendré des intuitions qui ont énormément contribué à notre culture. Ce fut le premier en Italie à parler d’Osvaldo Soriano, écrivain argentin qui a mêlé le football à l’écriture. En outre, il a écrit le premier roman italien s’inspirant du football, Azzurro Tenebra. Dans le film Profumo di donna, réalisé en 1974 d’après son roman Il Buio e il miele (1969), le protagoniste aveugle est joué par Vittorio Gassman. Quelques années plus tard, en 1992, la version hollywoodienne Scent of a woman sortit et le rôle fut interprété par Al Pacino.

Cette année, on fête les 30 ans de sa mort et les 90 ans de sa naissance. Turin, la ville où il a vécu la plus grande partie de sa vie, le célébrera avec plusieurs événements qui lui seront dédiés.

Une ame perdue, Arpino, La Bibliothèque italienneLa Suora Giovane (Una âme perdue) a été publié chez Einaudi en 1959. Il s’agit d’un roman court qui ravit le lecteur ; pour ma part, je l’ai lu en quelques heures. Je me suis trouvée à côté du protagoniste, le comptable Antonio Mathis, à l’arrêt du tram 21, dans un Turin glacial, la nuit, entre la fin de 1950 et le début de 51, dans l’attente de Serena. Serena a vingt ans et lui en a quarante. Les deux personnages se rencontrent chaque soir à l’arrêt du tram. Elle s’y trouve à juste raison, tandis que lui n’a aucune destination, seul l’anime le désir de rester à ses côtés pendant le trajet. Ils sont loin, ils ne communiquent pas, mais Antonio raconte son inquiétude à travers les pages de son journal. Il décrit les soirées glaciales sur le quai, les nuits, ses pensées sur cette jeune femme intouchable. En effet, c’est une religieuse.

Voilà le quai du tram, la voilà.

Elle est debout, immobile, menue, attendant le tram, m’attendant.

Elle attend que je traverse le boulevard, que je monte moi aussi sur le quai en ciment, que je m’installe à quelques pas d’elle. Nous attendons ensemble le tram, elle reste immobile, en regardant fixement le trottoir du côté opposé ; j’enfonce mes mains dans les poches de mon manteau, sous mes doigts j’aperçois mes paumes moites (elles le sont encore, pendant que j’écris), je n’arrive pas à saisir un mot, à creuser une idée, un fil de courage. Je devrais faire quelque chose, me rapprocher, parler. Mais quoi dire ? Comment ? Comment se rapprocher d’une religieuse et lui parler ?

la suora giovane-arpino-la bibliothèque italienne

Antonio Mathis prendra son courage à deux mains et découvrira que la jeune femme attendait qu’il fasse le premier pas. Le comptable se mettra à discuter. Et il perdra la raison. Arpino est parvenu à rendre le frémissement des amoureux à travers une prose sèche. Par une langue raffinée et directe, Arpino restitue la sensation d’égarement qui saisit les protagonistes, le lecteur vivant ainsi les froides nuitées hivernales de Turin, perturbées par la passion qui anime le comptable et la religieuse.

 

 

 

ARPINO, Giovanni, Une âme perdue, traduction de Nathalie Bauer, Belfond, 2009, 144 pages

ARPINO, Giovanni, La suora giovane, Ponte alle grazie, 2017, 131 pages

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