L’exil des moucherons japonais dansants, de Marino Magliani

Ma mère était une redoutable exterminatrice de mouches. Dans notre village, la mort des mouches dépendait des femmes.

L’exil des moucherons japonais dansants, la mélancolie du traducteur ?

 

L'esilio dei moscerini danzanti giapponesi, Marino Magliani - La Bibliothèque italienne

L’exil des moucherons japonais dansants

Un homme, traducteur de métier en exil depuis les deux tiers de son existence, d’abord en Espagne, ensuite en Amérique du Sud, en Hollande et sur la mer du Nord, se rend de temps à autre dans sa vallée natale en Ligurie, où il possède encore une maison et quelques terrains de faible rendement. Là, il retrouve une amitié et un ancien lien d’affection avec une professeure qu’il avait fréquentée pendant deux années scolaires. Il y a sans doute une raison qui l’a poussé à s’éloigner de l’Italie, ou peut-être pas, il se peut que ce soit la mélancolie qui ait déclenché une chose devenue avec le temps difficile à supporter. Désormais, pendant qu’il traduit des romans de l’espagnol, il mène une existence solitaire dans le quartier populaire hollandais, observe la vie qui passe et le vol de drôles d’insectes en provenance du Japon ayant trouvé exil, tout comme lui, dans les dunes humides du Nord.

 

Voici deux extraits du roman :

*

Ma mère était une redoutable exterminatrice de mouches. Dans notre village, la mort des mouches dépendait des femmes : si ce jour-là on décidait de prendre le thé chez scià* Rafelina, c’était les mouches de scià Rafelina qui allaient mourir. Peu importe qu’elles tournoient dans les chambres ou au salon, tôt ou tard elles se poseraient quelque part à la cuisine, où scià Rafelina et ses amies les tueraient.

Notre village était traversé par une rue, l’asphalte suivait de loin en loin les courbes du ruisseau gorgé de graviers, ses ruelles étaient éternellement à l’ombre et l’été ses bancs en pierre accueillaient les femmes de tout âge. À partir d’une certaine heure, les ouvriers retournaient aux oliveraies et il ne restait que les vieilles pour profiter de la fraîcheur.

Je voyais toutes ces femmes monter en colonne, telles des fourmis le long des chemins muletiers qui séparaient les potagers et les vignes, disparaître derrière la crête, puis réapparaître un court instant, jusqu’à ce que la frondaison bleutée des oliviers n’engloutisse définitivement l’escalier et la colonne.

Les vieilles racontaient que jadis il y avait également un deuxième village, puis les fourmis étaient arrivées et le fleuve noir avait dévoré les maisons.

Les fourmis me paraissaient bien moins futées que les mouches, les fourmis argentines, par exemple, entraient et sortaient des mêmes fissures : il suffisait de les asperger d’un peu d’insecticide pour les tuer toutes autant qu’elles étaient. En revanche, les mouches anticipent certains dangers : là où l’une allait, l’autre évitait d’aller, ou bien elle s’y rendait par d’autres trajectoires.

*

Gregorius cherchait en Ligurie quelque chose pour combler le vide, ne serait-ce qu’une copie de la lumière de l’aube espagnole. Mais en Ligurie, à travers la lumière on ne devine que les choses fragmentées, les retours du jeune garçon de l’internat, la bénédiction des maisons pendant les vacances de Pâques. Dans la montée, de village en village, maison après maison, lorsque l’eau était épuisée, l’enfant remplissait le seau en cuivre ébréché à la fontaine et le curé donnait la bénédiction. Les printemps en Ligurie, c’est le soleil sur la soutane lumineuse d’un curé. Dans les maisons des vieux on respirait une odeur venant de l’hiver, et on passait de la tiédeur extérieure à l’humidité des pièces et des cuisines. Et lorsque les vieux ouvraient grand les fenêtres, la lumière blessait ces lieux et les remplissait de temps : la même chose arrivait en quelque sorte à Gregorius à la sortie des bars.

Enfant, je pénétrais dans l’obscurité des pièces des vieux du coin comme s’il s’agissait de passages entre les ronces, dans les mains le seau que les siècles avaient recouvert de vert-de-gris, je tendais le goupillon au curé avec la conscience angoissée de celui qui est sûr qu’il est trop tard pour bénir quoi que ce soit, et lorsque nous sortions, le curé en premier, moi ensuite, je me retournais pour regarder dans la maison et je ne comprenais pas, non, je ne comprenais pas ; maintenant seulement, après tant d’années, je sais que c’était le temps de l’extrême onction.

* Appellation qui désigne une femme de la haute bourgeoisie.

 

Traduction de Daniela Faraill.

 

Marino Magliani - La Bibliothèque italienne

Marino Magliani est né dans un petit village en Ligurie, il est traducteur, scénariste et auteur de romans et nouvelles. Il vit sur la côte hollandaise. 

« Je voulais écrire comme les Espagnols qui utilisent le point d’interrogation en début de phrase, de sorte que l’on sache dès le départ ce que réserve la fin. Mais ensuite je n’ai rien écrit. »

L‘esilio dei moscerini danzanti giapponesi (dont La Bibliothèque italienne a traduit deux extraits) est le dernier roman de Marino Magliani.

Parmi ses nombreux livres ayant rencontré un succès mérité auprès d’un large public, nous vous suggérons aussi  La tana degli Alberibelli, Il collezionista di tempo, Quattro giorni per non morire, Acqueforti di Buenos Aires, et le roman graphique Sostiene Pereira.

 

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2 Comments on L’exil des moucherons japonais dansants, de Marino Magliani

  1. beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.N’hésitez pas à visiter mon blog (lien sur pseudo)
    au plaisir

  2. Merci Angelilie !

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