Le dessin, l’arche, le tatouage : un petit voyage en skateboard avec le dessinateur Guido Volpi

Savoir dessiner ne signifie pas savoir faire des belles lignes, cela signifie que ces lignes, qu’elles soient belles ou mauvaises, communiquent quelque chose

Par Valentina Maini

Guido Volpi - La Bibliothèque italienne

Bologne est une ville d’astronautes.

Je le sais bien, car j’y suis née et j’y ai passé une grande partie de ma vie sans en comprendre au fond la consistance. Tous ces gens que je voyais quand j’étais petite, d’où partaient-ils, pourquoi est-ce qu’ils revenaient, étaient-ils réels, comme moi ?

Les adultes disaient : Bologne est une ville de paradoxes. C’était une manière de me dire qu’ils étaient d’accord avec moi ?

En tout cas, personne ne répondait jamais à ma question, quelquefois j’oubliais même de la poser à haute voix.

Ou c’était peut-être moi, l’astronaute.

Sans pouvoir résorber mes doutes, j’ai commencé à croire que les astronautes – tous ces gens qui me semblaient appartenir au ciel comme à la terre et qui me rappelaient en même temps des plongeurs, des explorateurs du monde aquatique – étaient juste des artistes, tous ces artistes qui font vivre cette ville du centre nord de l’Italie, à l’âme chaleureuse et fuyante.

Ils étaient faciles à identifier, car ils laissaient leurs traces partout. Sous forme de dessins, par exemple.

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Je pourrais dire que Guido Volpi est un de ces cosmonautes, du moins selon la définition opaque que j’avais donnée à ce mot pendant mon enfance.

Originaire de Sienne, il a débarqué sur la terre de Bologne depuis quelques années et il y est resté. En tant qu’auteur, il a publié plusieurs livres, parmi lesquelles Festina Lente, avec Liliana Salone (Modo Infoshop), et le catalogue issu de son exposition au Musée Olsommer de Veiras. Il a collaboré avec le journal Repubblica et il a réalisé le booktrailer de Mandami tanta vita de Paolo di Paolo (Feltrinelli), et a même illustré les poèmes de Yari Bernasconi. Et puis il a construit une arche. Il a dessiné un guide de Lisbonne. Il a appris à faire des tatouages. Il est parti voyager. Mais n’anticipons pas trop…

Bonjour Guido. Ça va ?

À 35 ans je me sens vieux : hier j’ai repris mon skateboard et quand j’ai essayé de faire quelque chose de sérieux, je suis tombé et je suis rentré chez moi la queue entre les jambes.

Ne t’afflige pas, changeons de sujet. Quel est le dernier dessin, croquis, gribouillis que tu as fait ?

Sur mon bureau, il y a un croquis pour un tatouage, un « Tengu » inspiré de l’iconographie populaire japonaise.

Quand j’étais petite – on l’a compris –, j’avais beaucoup de fantaisie. Par exemple, je pensais que les voitures qui dévalaient les rues étaient des monstres aux yeux méchants. C’est peut-être à cause de ça que j’ai été très touchée par l’un de tes premiers projets, Treni (Trains). Tu veux bien nous en parler un peu ?

Tu as pleinement compris le sens de ce livre.

Vers 2009, j’avais imprimé des cartes de visite carrées 9×9 cm avec ces « visages de train », c’était un projet rigolo pour faire connaître mon nouveau site. Un jour un des libraires de la librairie Modo Infoshop m’a dit qu’un de leurs clients avait commencé à les collectionner et il m’a demandé de voir les dessins originaux. Je suis revenu avec les trains que j’avais, j’étais heureux, cette librairie était pour moi un des lieux les plus charmants de Bologne : sélection de livres très recherchée, rencontres avec des auteurs parmi les plus intéressants et fous et en plus, en tant que maison d’édition, ils avaient produit de magnifiques livres de dessin des jeunes Dem, Blu, Ericailcane, des artistes que j’aimais beaucoup.

Ils étaient enthousiasmés par mes dessins originaux et ils m’ont demandé d’en faire un livre. Alors je me suis mis au travail et j’ai fait environ soixante-dix dessins, puis, avec les trois libraires, nous avons construit le livre, on s’est rencontrés à plusieurs reprises, un travail artisanal, comme si l’on se rencontrait dans un magasin ancien.

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Et voilà qu’arrive cet astronaute, ce personnage de terrain et, en même temps, céleste, dont on ne voit jamais le visage. Comment est-il né ?

L’astronaute était l’un des dessins faits pour mon troisième livre : Festina Lente, réalisé à quatre mains avec l’artiste Liliana Salone.

(Ce livre est très important pour moi, il est né d’une exigence exclusivement personnelle, étant donné qu’en parfait accord avec Liliana, nous voulions dessiner l’archéologie, le voyage, les explorations, les découvertes scientifiques ; les éditeurs, toujours Modo Infoshop, ont ensuite contribué à faire du livre un objet fini, de qualité.)

Puis l’astronaute a pris un chemin indépendant, d’abord en tant qu’affiche pour un concert des Three Second Kiss et puis en se transformant en un véritable personnage pour suivre la tournée de 2014 de Vasco Brondi « Le Luci della centrale elettrica ». Pour chaque date j’ai créé une affiche différente où le cosmonaute entrait en collision avec la quotidienneté terrestre. J’en ai dessiné une tous les deux jours à peu près pendant 4 mois. Ce projet s’est achevé le printemps dernier avec une exposition à la galerie Squadro de Bologne.

 

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Que penses-tu des écoles d’illustration et des académies ? Sont-elles indispensables pour ceux qui veulent vivre de leur art ou les parcours autodidactes te semblent également valides et intéressants ?

Je ne sais pas si elles sont indispensables. Je pense que se confronter à des professionnels et d’autres personnes ayant à peu près les mêmes intérêts ne peut pas être contre-productif.

L’avantage d’une académie ou d’une université réside dans le fait que tu arrives à t’enrichir beaucoup en quelques années, tu as le temps de lire tous ces livres qui tu n’arriverais jamais à lire autrement.

Parfois il me semble que l’on oublie le fait que le dessin est d’abord une narration : savoir dessiner ne signifie pas savoir faire des belles lignes, cela signifie que ces lignes, qu’elles soient belles ou mauvaises, communiquent quelque chose ; plus elles sont conscientes, plus elles gagnent en puissance, en impact ; les lignes ne sont pas là juste pour équilibrer le dessin.

Voilà, je ne recommanderais pas l’académie pour apprendre à dessiner en ce qui concerne le rapport papier-crayon, elle devrait plutôt servir afin de trouver de nouveaux élans, afin de se donner du temps pour réfléchir sur son propre travail.

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Tu es né à Sienne, tu vis à Bologne, tu as dessiné Lisbonne. La France ne t’a jamais attiré ? Tu n’as jamais pensé à travailler sur un projet centré autour d’une ville française ?

Je vais être banal : Paris m’attire, elle est même la seule ville française dans laquelle je suis allé plus d’une fois, je pense notamment à la zone de Belleville, Ménilmontant, le musée des arts asiatiques Guimet, le musée du quai Branly, la Halle Saint-Pierre, le marché des Enfants-Rouges où j’ai mangé, quelques lieux très particuliers que je ne saurais pas retrouver, le marché aux puces…  Si j’en avais l’occasion, je le ferais volontiers.

Entre 2015 et 2016, tu as conçu, avec Liliana Salone, Florence Proton, Muriel Constantin Pitteloud et Sara Simili, ARKA, une installation artistique participative mise en place à Sierre, en Suisse romande. Comment est-elle née, où va-t-elle, a-t-elle fait naufrage, cette ARKA ?

ARKA est née en fréquentant la Suisse romande : Liliana a décidé de déménager là-bas quand nous avions déjà commencé à travailler ensemble. Après le livre Festina Lente, quatre expositions, deux en Italie, deux en Suisse, les lieux où nous avons fait nos expositions sont devenus de plus en plus grands et nous les avons remplis non seulement de dessins, mais aussi d’installations, de sculptures de toutes sortes, de fausses découvertes archéologiques, d’autels païens : l’exposition était devenue un parcours, un environnement ; ainsi la fois suivante nous avons décidé de construire un véritable navire : dix mètres de longueur, quatre mètres de haut, à l’intérieur beaucoup de petites cellules de ruches pour contenir les objets d’une civilisation disparue, et maintenant ce projet est une exposition au Musée Olsommer de Veiras qui a édité un livre sur toute notre aventure, avec des dessins, des textes, des photos et une vidéo de la réalisation.

L’ARKA est restée là, dans les montagnes, à côté du Rhône, dans le Parc naturel Pfyn-Finges à Sierre dans le canton du Valais. Sur mon site une section lui est même dédiée.


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Comment est-ce que tu arrives à comprendre qu’un nouveau projet est en train de naître dans ta tête, et que c’est le bon ?

Mon parcours principal concerne le voyage, les découvertes, l’archéologie, les objets anciens, les rites, les traditions, c’est ça que je produis de manière instinctive.

Mais pendant mon voyage je rencontre des personnes qui aiment mon style graphique, mon approche du dessin et qui me proposent des défis différents : suivre la tournée de « Le luci della centrale elettrica », en en dessinant les affiches, par exemple, ou bien faire des dessins pour un livre sur Bologne écrit par l’immense (je ne sais pas comment le définir autrement) John Berger… Si, au moment où l’on me fait une proposition, je pense pouvoir apporter une contribution intéressante, j’accepte et je me lance dans le projet.

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Depuis quelque temps, tu es aussi tatoueur. Quels sont les difficultés et les plaisirs majeurs de cette nouvelle activité ? J’ai toujours été fasciné par le tatouage, mais je n’avais pas d’amis proches qui le pratiquaient et je n’avais donc jamais essayé. Un jour, un de mes fans (l’une de ces personnes qui te plaisent tout de suite pour leur folie) m’a demandé un dessin pour un tatouage. Une fois le dessin réalisé, il m’a demandé de l’exécuter dans l’atelier d’un ami à lui, un tatoueur avec des années d’expérience ; j’ai accepté. En fin de soirée, le tatoueur me dit que j’ai fait un très bon travail et que je pourrais revenir dans son studio pour apprendre, si j’en avais envie. J’ai ressenti une incroyable poussée d’adrénaline qui m’a causé une dépendance : j’ai commencé à fréquenter régulièrement l’atelier et aujourd’hui, après quelques années, tatouer est devenu une partie de mon travail.

GuidoTATU

Guido est reparti, mais il a laissé des traces : ici.

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3 Comments on Le dessin, l’arche, le tatouage : un petit voyage en skateboard avec le dessinateur Guido Volpi

  1. merci pour ce magnifique reportage et la découverte de ce dessinateur talentueux; j’aime beaucoup ses dessins

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