Anna, de Niccolò Ammaniti

Niccolò Ammaniti, avec son roman Anna, écrit une fable dystopique qui prend place dans la Sicile d’un futur très proche, le 2020, où tous les adultes ont été tués par une épidémie et les enfants se déchirent entre eux pour survivre.

Fotografia di Sérgio Rola

Par Cinzia Dezi

couverture fr_Ammaniti_AnnaUn peu plus de vingt-ans ont passé depuis 1996, date à laquelle une anthologie très controversée fut publiée en Italie par la maison d’édition Einaudi, sous le titre Gioventù cannibale, c’est-à-dire « Jeunesse cannibale », sous la direction de Daniele Brolli. Ces écrivains furent appelés ainsi, car les thèmes de leurs livres étaient plutôt « pulp », la violence irriguait leurs récits et, plus généralement, ils mélangeaient culture savante et pop. Parmi eux, il y avait Aldo Nove et Niccolò Ammaniti, même si aujourd’hui ce dernier ne se reconnaîtrait plus sous cette étiquette. De Ammaniti je vais vous présenter le roman Anna, publié en 2015 chez Einaudi en Italie et l’année d’après chez Grasset en France.

Au début du roman nous sommes en 2020, dans un monde dystopique, où une épidémie venue de Belgique a tué tous les adultes. On est en Sicile, à Palerme, qui désormais se présente comme un paysage post-apocalyptique, où les déchets et les cadavres sont partout, à l’air libre. Le personnage principal, comme le dit le titre, est une fillette – Anna – de neuf ans quand commence le roman et treize à la fin. Elle doit prendre soin de son frère Astor, quatre ans, car leurs parents sont décédés à cause de l’épidémie, comme tous les autres adultes. Ils doivent lutter pour trouver de la nourriture parmi les déchets et dans les supermarchés abandonnés, et doivent se défendre contre les différents périls qui se présentent (notamment d’autres bandes de garçons et filles qui déambulent, sauvages et sans famille, et qui essaient de survivre jusqu’à leurs quatorze ans, car une fois arrivés à la puberté, la maladie se développera aussi en eux).

Palerme est décrite comme un lieu sans futur et presque sans passé, où tout est progressivement détruit par le laisser-aller des enfants occupés à survivre, et le passage du temps qui érode la civilité. Ce qui est décrit est le retour en arrière à un état barbare de l’humanité où règne une « guerre de tous contre tous », celle dont parlait le philosophe Thomas Hobbes. Chacun est gouverné par la nécessité : il n’y a pas de possibilité de choix, c’est seulement vers la mort qu’on se dirige rapidement, après une vie minable.

copertina ita Ammaniti_AnnaAnna est une chronique nue et crue de l’Apocalypse, où l’essentiel semble être d’apprendre à lire et à écrire : sa mère, avant de mourir, lui a laissé un Cahier de Choses Importantes, dans lequel elle a insisté sur l’entraînement à la lecture du petit Astor. La seule manière pour lui de distinguer les étiquettes de produits restés dans les magasins, les médicaments dans les pharmacies.

C’est une fable noire où le monde n’arrive pas à être sauvé par les gamins (comme le voulait Elsa Morante) : en revanche, les enfants succombent les uns après les autres quand ils deviennent adultes. L’espoir est perçu comme une « maladie » par Niccolò Ammaniti, mais il est aussi utile pour devenir adulte, pour ne pas se laisser aller. C’est pourquoi les derniers mots du roman laissent apparaître une petite lueur.

Dans l’écriture de cet auteur tout est excessif : la douleur et le désespoir, rendus grâce à un grand nombre de similitudes. Le langage est cru, violent, ne nous épargnant pas les détails terrifiants, comme, au tout début, quand il décrit la lutte entre deux chiens. Le goût pour la violence est très poussé, jusqu’au point de nous rappeler des films d’horreur. C’est très récent cette effraction de l’idée grecque de ne pas représenter la violence sur scène (même si, ici, on parle d’un roman).

Je crois, tout de même, que la violence est plus efficace quand elle est plus subtile, moins explicite, quand on ne la voit pas, quand on l’imagine seulement, quand on la suggère avec de petites allusions. Comme cela elle me semble plus terrible. Il est sûr que la violence présentée de façon explicite attire le spectateur et le lecteur, car elle a un pouvoir de séduction énorme, mais c’est, à mon avis, une façon trop facile de faire de l’œil au lecteur.

Notre rédactrice Laura Paoletti a également écrit à propos de Niccolò Ammaniti et de son roman Comme Dieu le veut (Come Dio Comanda, édition gagnante du prix Strega 2007) ici.

 

AMMANITI, Niccolò, Anna, trad. par Myriem Bouzaher, Grasset, 2016, p. 320.

AMMANITI, Niccolò, Anna, Einaudi, 2015 (2017), p. 320.

 

Bibliographie de l’auteur

Éditions italiennes :

  • VV. sous la direction de Daniele Brolli, Gioventù cannibale, Einaudi, 1996.
  • AMMANITI, Niccolò, Branchie, Ediesse, 1994, p. 232 (puis Einaudi, 2006, p. 186).
  • AMMANITI, Niccolò, Ti prendo e ti porto via, Mondadori, 1999, p. 462 (puis Einaudi 2014, p. 530).
  • AMMANITI, Niccolò, Io non ho paura, Einaudi, 2001, p. 220.
  • AMMANITI, Niccolò, Come Dio comanda, Mondadori, 2006, p. 495 (puis Einaudi 2015, p. 554).
  • AMMANITI, Niccolò, Che la festa cominci, Einaudi, 2009, p, 332.
  • AMMANITI, Niccolò, Io e te, Einaudi, 2010, p. 122.
  • AMMANITI, Niccolò, Anna, Einaudi, 2015 (2017), p. 320.

Éditions françaises :

  • AMMANITI, Niccolò, Dernier réveillon et autres nouvelles cannibales, trad. par Dominique Vittoz, Hachette Littératures, 1998, p. 180.
  • AMMANITI, Niccolò, Branchies, Éditions du Félin, 1999, p. 192.
  • AMMANITI, Niccolò, Et je t’emmène, trad. par Myriem Bouzaher, Grasset, 2001, p. 532.
  • AMMANITI, Niccolò, Je n’ai pas peur, trad. par Myriem Bouzaher, Grasset, 2002, p. 240.
  • AMMANITI, Niccolò, Comme Dieu le veut, trad. par Myriem Bouzaher, Grasset, 2008, p. 544.
  • AMMANITI, Niccolò, La Fête du siècle, trad. par Myriem Bouzaher, Laffont, 2011, p. 360.
  • AMMANITI, Niccolò, Moi et toi, trad. par Myriem Bouzaher, Laffont, 2012, p. 144.
  • AMMANITI, Niccolò, Anna, trad. par Myriem Bouzaher, Grasset, 2016, p. 320.

2 Comments on Anna, de Niccolò Ammaniti

  1. J’avais adoré un de ses livres dont le titre m’échappe!
    Merci pour ta chronique, j’ai appris des choses!

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