Lire beaucoup, écrire beaucoup: conversation avec Vanni Santoni

Un entretien avec Vanni Santoni sur son manuel d’écriture “Écrire, mode d’emploi” et sur ce que veut dire ê​​​​​​​tre un écrivain

Par Carlotta Galimberti

Lo scrittore Vanni Santoni

Vanni Santoni est écrivain et directeur de la collection de fiction de la maison d’édition Tunué.

Il a débuté en 2007 avec le recueil de portraits Personaggi Precari (RGB), suivi des romans Gli interessi in comune (Feltrinelli, 2008) et Se fossi foco arderei Firenze (Laterza, 2011). Sa prose explore plusieurs directrices, du fantastique de Terra ignota (2 tomes, Mondadori, 2013 et 2014) et L’impero del sogno (Mondadori, 2017), aux formes de narration hybridées avec la non-fiction de Muro di casse (Laterza, 2015) et La stanza profonda (Laterza, 2017), jusqu’aux pages plus classiques d’épopée familiale dans I fratelli Michelangelo (Mondadori, 2019) et d’épopée morale dans La verità su tutto (Mondadori, 2022).

Santoni a tenu différents cours d’écriture, notamment chez La Scuola del Libro, et de ces expériences est découlée la rédaction du petit manuel La scrittura non si insegna (Minimum fax, 2020).

Il écrit de littérature pour plusieurs publications sur papier et en ligne, parmi lesquelles Corriere della Sera, Internazionale, Linus et Nazione Indiana.

La Bibliothèque italienne a eu le plaisir de rencontrer Vanni Santoni, qui nous avait déjà parlé de son travail comme éditeur chez Tunué, pour discuter d’écriture et du panorama littéraire entre la France et l’Italie. Point de départ de notre entretien a été son tout récent pamphlet Écrire, mode d’emploi, qui s’adresse aux aspirants écrivains les mettant devant la vérité – peut-être banale, mais jamais assez répétée – que pour bien écrire il faut peiner et leur offre quelques petits conseils de survie.

Ce juin tu as fait tes débuts en France avec ce qu’on pourrait définir un contre-manuel d’écriture. Si le lecteur italien est avisé à partir du titre de la nature un peu oxymorique de cet essai, le public français découvre ta position dans les premières pages, où tu prônes tout de suite qu’enseigner à écrire est impossible et qu’on peut seulement essayer de transmettre une posture mentale, la capacité de penser comme un écrivain. Ce que je trouve intéressant est ton refus en même temps de l’idée qu’on puisse devenir un artiste en apprenant mécaniquement une série de techniques et du mythe opposé qui veut l’écrivain un génie Romantique, une figure au talent inné qui crée suivant une inspiration instantanée.

Oui, en Italie Écrire, mode d’emploi a pour titre La scrittura non si insegna, qui veut dire « écrire ne s’apprend pas », et il s’agit d’un titre délibérément paradoxal vu qu’en Italie tout le monde sait que j’enseigne dans les écoles les plus renommées, en particulier La Scuola del Libro, où j’ai enseigné pendant dix ans, mais aussi l’école Holden ou l’école Belleville.
D’autre côté, cependant, ce n’est pas du tout un titre ironique. Je crois vraiment que la prétendue « écriture créative » ne peut pas être enseignée, au moins dans les termes qu’on retrouve souvent dans ces cours : je trouve absurde penser d’enseigner « à faire un incipit », « à développer les personnages », « à créer un arc narratif » ou « à bien écrire les dialogues », comme si un roman était un monstre de Frankenstein composé par des modules à monter. La vérité est que toutes les parties d’un roman se développent en contemporaine, comme un embryon qui devient petit à petit un individu complet, et il est également vrai qu’un personnage bien développé pour le roman ou la nouvelle X serait hors place dans le roman ou la nouvelle Y, que l’incipit Z peut être parfait pour un certain roman mais absurde dans un autre, et ainsi de suite. Apprendre à écrire de la fiction signifie développer une sensibilité générale pour le texte, et cela peut se produire seulement de deux façons : en lisant beaucoup et en écrivant beaucoup.
Ce que tu dis est donc vrai : l’objectif de Écrire, mode d’emploi est de réfuter en même temps deux mythes antithétiques, parce que l’art n’est ni de l’artisanat ni un simple élan de l’âme, mais bien le deux à la fois, pourvu qu’ils soient gouvernés par une adhésion intégrale au travail littéraire.

Pas de sucre pour déglutir la pilule, tu es immédiatement clair sur le fait qu’il n’y a pas de formule magique qui permettrait de créer un bon livre. Il faut simplement dédier du temps et de l’effort à l’écriture. Et avant ça, dédier du temps et de l’effort à la lecture. En effet, le premier pilastre de ton manuel est le mantra « lire, lire, lire », à décliner dans un régime alimentaire sain et vairé. Aux aspirants auteurs tu ne fournis pas qu’une seule liste, mais plusieurs suggestions différentes, en continue évolution (à front des objections de ta classe tu rajoutes un roman ici, une recueille de nouvelles là, deux autres auteurs là-bas). Ton canon semble avoir pour fil rouge l’innovation, la capacité de faire des choses nouvelles avec la langue et de pousser la forme du roman au-delà de ses limites, d’« ouvrir les alvéoles » aux lecteurs-écrivains, alors que tu soutiens clairement de ne pas vouloir assigner des ouvrages trop parfaits ou trop accomplis.

Un petit ouvrage parfait – prenons, par exemple, les Illuminations de Rimbaud ou L’étranger de Camus, mais aussi Body art de Don DeLillo – va très bien pour les lecteurs mais ne possède pas un grand potentiel didactique : il est pareil à un diamant parfaitement coupé, on peut l’admirer, mais on ne peut pas y rentrer. Au contraire, on risque même d’en être intimidé. Beaucoup mieux les grands romans maximalistes qui, semblables à des cathédrales, sont accueillants vers le lecteur (qui peut même se perdre à l’intérieur) et présentent nombreuses occasions aptes à faire percevoir à l’aspirant écrivain la vastité des possibilités que l’écriture narrative offre. Pour affiner le style, on aura du temps : le plus important est, tout d’abord, ouvrir les poumons et renforcer les épaules, comprendre les questions structurales qui se trouvent derrière le travail sur un roman. Combien d’idées – et d’idées même éloignées du contenu des textes – surgissent en lisant 2666 ou L’infinie comédie

Or, c’est clair qu’on ne lit jamais assez et qu’on n’a jamais assez lu, et qu’il serait toujours mieux avoir tout lu, mais si d’un côté c’est clairement impossible, d’autre côté l’histoire de la littérature nous dit qu’avoir un doctorat en lettre n’est pas obligatoire pour écrire un grand roman, il suffit de lire beaucoup et bien, y compris avec ses propres parcours. Ainsi, face à la nécessité de faire une sélection qui pourrait permettre à n’importe qui de « professionnaliser » son propre travail de lecture dans un temps relativement bref, disons deux ou trois années, j’ai choisi trois grands filons : le modernisme, avec Joyce, Proust, Woolf et Faulkner en premier, pour les innovations qu’ils ont apporté à la forme du roman et que nous utilisons encore ; le grand roman du dix-neuvième siècle – Flaubert, Balzac, Tolstoï, Dostoïevski, Eliot, Dickens… – parce qu’il a établi les fondations, et constitue encore la base, pour le climat de « hégémonie du roman » dans laquelle on vit aujourd’hui ; ce qu’on appelle « l’onde frontale » du roman contemporain, c’est-à-dire le mieux de ce qu’a été produit dans les dernières décennies (et donc allons-y avec Bolaño, Sebald, Bernhard, Tokarczuk, McCarthy, Cărtărescu, Énard, le premier Houellebecq…), parce que qui écrit en 2022 doit être en contact avec le travail de ses meilleurs contemporains.

Tout ça pour ce qui concerne le roman. Les nouvellistes, qui auront à commencer par Čechov, ont évidemment leurs listes dédiées, et ainsi de suite qui veut se consacrer à un « genre » spécifique, bien que dans ce cas c’est essentiel de ne pas lire que le genre en question.

Dans l’édition italienne, tu as fourni aux futurs écrivains une liste d’auteurs qui ont écrit en langue italienne (on y retrouve, parmi les autres, Svevo, Morante, Calvino et Moresco). Bien sûr, pour l’édition française cette liste a été substituée par des références de langue française. Selon toi, est-il possible de comparer les deux listes ? Est-ce que tu les trouves assez homogènes ou est-ce que tu arrives plutôt à reconnaître des différences structurelles dues aux différents climats littéraires des deux pays ?

Je le dis sans flatterie, la liste française est meilleure : c’est dû au fait que le canon italien ne trouve pas sa meilleure expression dans le roman, mais plutôt dans la poésie ou le fragment, que je ne traite pas dans mon essai, ou encore dans des textes en prose structurellement impossible à classer – pensons, pour en citer que deux, aux textes de Cristina Campo ou de Giorgio Manganelli – ; il en résulte que dans un contexte comme l’actuel, où l’écrasant majorité des aspirants écrivains veut écrire un roman, la fiction contemporaine française sera en moyenne plus utile que l’italienne.

Dans tes romans le régime alimentaire littéraire que tu suis au cours de la rédaction est très évident, plus encore il devient part du texte même et engendre une dimension meta-littéraire à l’intérieur de la narration, qui s’enrichit de titres cités en passant et de véritables citations intégrées à l’écriture. Ce procédé est particulièrement évident dans ton dernier livre, La verità su tutto, probablement à cause de la nature du récit. En effet, il s’agit de la reconstruction d’un parcours de recherche spirituelle, une quête qui prend son élan d’un questionnement sur le mal et amène l’héroïne initialement sceptique à se rapprocher au mysticisme en cherche de réponses, jusqu’à devenir malgré elle presque une figure de culte. Son parcours initiatique passe en premier par la littérature et la philosophie et seulement dans un second moment arrive aux textes sacrés et à la pratique. Les références culturelles innervent donc le roman entier, mais les critiques du futur auront vie facile parce que tu tiens trace de toutes les citations et fournis une bibliographie complète à tes lecteurs. Y a-t-il quelque chose qui a nourri ton écriture mais n’est pas rentrée dans le roman, une trace restée cachée ?

J’ai toujours cru que chaque roman est, en essence, un prisme qui reflet d’autres romans (et se projette sur ceux qui doivent encore arriver), ou un engrenage qui bouge seulement parce qu’alimenté par tous les autres qui existent déjà, ou encore une pierre d’une ziggourat de livres qui n’arrête jamais de grandir… chaque livre est meta-littéraire, c’est ça la vérité. Si dans des roman-essai comme Muro di casse ou La stanza profonda l’apposition d’une bibliographie en marge était naturelle, en raison de leur nature hybride, à partir des Fratelli Michelangelo j’ai trouvé plus logique, intéressant et esthétiquement cohérent insérer la bibliographie dans le roman même. C’est ainsi que dans le nouveau La verità su tutto, les livres qui composent le premier parcours d’études de la protagoniste Cleopatra Mancini, qui de sociologue matérialiste deviendra une mystique chef d’une communauté syncrétique avec plus d’un million d’adeptes, et qui sont une partie des livres que j’ai lus moi-même pour écrire le roman, sont cités dans le texte même, de façon que le lecteur puisse, s’il le désire, élargir son horizon de lecture.

Les textes qu’on retrouve dans La verità su tutto sont, justement, seulement une partie des textes qui me sont servis pour écrire le roman, c’est normal : ils représentent plus une sorte de « distillat » apte à donner une caractérisation nette à la protagoniste et à intéresser de façon directe le lecteur avisé, mais au-delà d’eux il y a une douzaine d’influences plus ou moins occultes : c’est évident, par exemple, que La verità su tutto n’existerait pas sans Marelle de Julio Cortázar, Perturbation de Thomas Bernhard, Siddhartha de Herman Hesse ou Milarépa, la vie de Tsang Nyön Heruka.

Le deuxième pilastre prôné dans Écriture, mode d’emploi est la constance. Écrire tous les jours, au moins un peu, pour se créer un habit mental. Et si on a une mauvaise journée, si on est bloqué, passer à quelque chose d’autre, trouver un point d’entrée différent pour son histoire ou même la laisser complètement à côté, mais continuer à écrire.

En plus de dix années d’enseignement de l’écriture et presque autant comme éditeur, j’ai rencontré d’innombrables aspirants talentueux qui cependant n’arrivaient pas à mener à bout quelque chose. Plus que le talent – le talent est relativement commun – ce qui manque est la discipline, c’est probablement aussi à cause de certains mythes romantiques de l’écrivain-génie qui distille l’ambroisie de son âme seulement quand il y est bien dsiposé… la vérité est que l’inspiration, comme le disait Jack London, il faut lui courir après avec une massue. Ce n’est qu’en écrivant tous les jours qu’on peut arriver à obtenir quelque chose d’acceptable, et s’il n’est pas possible de transmettre la motivation elle-même, on peut par contre enseigner une série d’astuces, de dispositifs et de méthodes aptes à rendre plus facile la mise en pratique de cette continuité. Écrire, mode d’emploi recueille tous ceux que j’ai trouvé, et que j’ai vu fonctionner pour des autres, dans presque vingt ans d’écriture et plus de dix ans d’enseignement.

En parlant de rentrer dans un roman par plusieurs points, dans un entretien sur La Balena Bianca tu as montré l’un des schémas que tu avais construits pendant l’écriture de La verità su tutto pour garder trace des scènes préparées en parallèle. Maintenant que le livre est terminé, est-ce que tu peux nous raconter comment le processus d’écriture s’est déroulé ? Quelles ont été les scènes qui t’ont posé problème et quels différents points d’entrée t’ont permis d’y retourner avec des suggestions différentes ? Y a-t-il eu quelque chose à laquelle tu as décidé de renoncer ?

la verità su tutto copertinaLa verità su tutto m’est coûté deux années et demie de travail exclusif et vraiment très intensif, d’autant plus que plus je procédais dans l’exploration de thèmes extrêmement vastes comme le mysticisme oriental et occidental, plus les lectures se multipliaient, et le travail sur ce type de documentation s’accompagnait à un travail parallèle de sélection des matériaux et de structuration de l’intrigue, parce que quand un roman est très dense de contenus théoriques il faut forcément compenser avec un scénario dynamique, des personnages intéressants et une certaine légèreté d’esprit, histoire d’éviter la pédanterie, qui est le péché mortel du romancier.

Quand j’avais dépassé de peu la moitié – j’étais à Bastia, en confinement, dans un isolement extrême – j’ai eu la sensation de me retrouver dans une gallérie noire, avec la lampe de torche déchargée et sans même pas la certitude d’avoir pris la bonne direction. Après, j’ai commencé à écrire la quatrième partie, la « partie du Paradisino », qui est un peu le cœur conceptuel et émotif du roman, et à partir de là j’ai commencé à entrevoir une lumière. Quand plus tard j’ai écrit la scène, qui prélude au final de cette partie, où la protagoniste Cleo rencontre, à la fois, ses deux ex abandonnées Emma et Laura, elle est arrivée toute d’un coup, déjà narrativement satisfaisante, et là j’ai compris que le roman avait commencé à tourner dans le bon sens.

De là, il paraît que tout allait marcher comme sur des roulettes, mais arrivé à la fin de la première ébauche, j’ai décidé de couper presque une centaine de pages, pour donner davantage d’air au roman, le rendre plus elliptique – je sortais d’une relecture de Pedro Páramo de Juan Rulfo, qui m’avait laissé une forte impression, par son extraordinaire capacité de ne pas dire, plus que de dire. Il va de soi qu’une série de coupures tant consistantes – plus de vingt pour cent du roman – ont entraîné un travail de recouture, repositionnement, altération, qui m’a amené à intervenir sur le texte jusqu’aux plus étroits termes de production.

Tes lecteurs le savent, tes romans constituent une sorte d’univers expansé cohérent, un Santoniverse, où des personnages connus apparaissent dans les récits des autres. Pour citer un exemple parmi les nombreux, dans La verità su tutto on voit le retour dans un rôle important d’Antonio Michelangelo, père absent et moteur de l’histoire des Fratelli Michelangelo. Ces entrelacements t’aident à garder un certain type de suggestion, ils rendent plus facile ton processus créatif parce que tu connais déjà tes personnages et leurs lieux, ou s’agit-il plutôt d’une difficulté supplémentaire ?

L’idée d’une « continuity » dans mes romans naquit en 2014, quand j’écrivais Muro di casse, mon roman-essai consacré à la culture rave. À un certain moment j’eus besoin d’un personnage qui avait fréquenté la scène « free tekno » avec une approche relativement peu engagée et essentiellement hédonistique, un petit frimeur réjouissant qui devait en même temps être assez malin et articulé pour pouvoir en faire le récit de façon aiguë. Je me dis : mais ce personnage existe déjà, c’est Iacopo Gori de Gli interessi in comune (mon premier roman) ; alors je le vieillis d’une dizaine d’années et je le mis là-bas, on pourrait dire pour de raisons pratiques, un peu comme ces réalisateurs – je pense à Davis Lynch, à Wes Anderson, mais il y en a mainte autres – qui rappellent souvent les mêmes acteurs, voire même par paresse. Mais quand je le fis pour de vrai, je m’aperçus que quelque chose d’« alchimique » venait de se produire : les deux romans était maintenaient irréversiblement soudés dans un seul univers. La chose me plut, d’autant plus que j’avais toujours apprécié la « continuity » dans les bandes dessinées – pensons par exemple à Marvel, où les différents personnages ont leurs aventures personnelles mais peuvent aussi se rencontrer ou s’affronter –, et aussi dans le peu de romans qui la pratiquaient, comme Bret Easton Ellis, où on trouve souvent le comprimaire d’un roman comme héros d’un autre, c’est ainsi qu’à partir de ce moment je travaillai de façon délibérée à des entrelacements de personnages similaires.

Il convient remarquer que mes romans restent complètement auto-conclusifs et autonomes : la présence de ces figures – par exemple, dans La verità su tutto, Cleo rencontre Antonio Michelangelo précédemment au centre de I Fratelli Michelangelo – constitue plutôt une sorte d’easter egg pour les lecteurs affectionnés, auxquels elle fournit un niveau de lecture ultérieur. De mon point de vue, pour la plupart intérieur, ils me permettent de bâtir une macro-narration cohérente du point de vue chronologique, spatiale et parfois thématique, mais, certes, ils constituent une difficulté supplémentaire dans l’écriture. Ce qu’est bien : comme le disait Nabokov, écrire un roman équivaut à se poser des énigmes et à les résoudre, de façon à mettre en acte un procédé cognitif nouveau, de conséquent les plus difficiles, le mieux.

Les derniers chapitres d’Écrire, mode d’emploi contiennent des conseils pratiques pour le travail sur le texte. Si le volume s’ouvrait avec l’injonction de lire, lire, lire, ici la maxime est reprise de King : écrire est réécrire. Et revoir, plusieurs fois. Au-delà des indications « de bon sens » comme éviter les clichés (les linguistiques comme les structurels) et ne pas écrire des choses ennuyeuses (c’est-à-dire respecter les maximes de nécessité, spécificité et conflit), il me semble que la chose que tu considères la plus importante est d’avoir un confronte avec ses égaux, d’entrer à faire partie d’une communauté littéraire. Pour le faire, ton conseil est de collaborer avec une revue ou même d’en fonder une.

Quand un aspirant écrivain me demande ce qu’il doit faire pour débuter, chaque fois je réponde : fonder une revue. Certains me regardent bouché bée. Ceux-là probablement n’y arriveront pas, d’autant plus que fonder une revue est beaucoup moins demandant qu’écrire un bon roman du début à la fin. Ma je pourrais dire, également, de fonder une association littéraire ou de donner vie à une kermesse à thème livres : le but est de trouver, ou créer, sa propre « société littéraire ». Ici encore une fois le mythe romantique, qui imagine l’écrivain dans sa tour d’ivoire, a fait pas mal de dégâts… La vérité est que dans la grande majorité des cas, les grands écrivains ont toujours fait partie d’une société littéraire, grande, petite ou minuscule qu’elle fût, pour une raison peut-être évidente mais cruciale : la confrontation avec ses égaux, sur les textes, est essentiel dans la formation de l’auteur, et elle reste très important même plus tard, quand un roman « écrit par un professionnel » est terminé et il faut avoir quelqu’un qui le lit et fait des commentaires avant de l’envoyer à un éditeur.

Pour conclure on parle publication et on dit comment être imprimé n’est pas toujours la meilleure chose qui pourrait arriver à un livre. Dans ton essai tu mets en garde contre l’édition à compte d’auteurs et tu expliques les risques liés à des débuts trop précoces. Y a-t-il une règle dorée pour savoir quand un texte est assez mûr pour rencontrer le monde ?

Sûrement l’aspirant écrivain doit éviter l’édition à compte d’auteur, ou « vanity press », qui est simplement une arnaque, mais aussi l’autopublication, qui en général se révèle un cul-de-sac, et aussi ces soi-disantes maisons d’édition qui, bien que gratuites, n’ont pas de distribution réelle. Vaut mieux attendre : la littérature est un art, et un métier, de grande lenteur : si on lui donne suffisamment de temps, les livres vraiment bons tôt ou tard trouvent toujours leur voie. L’autoévaluation, par ailleurs, est très difficile même pour les plus grands auteurs : une autre raison pour laquelle il est essentiel de s’entourer d’un certain nombre de camarades qui ont nos mêmes aspirations et liront nos textes, les évalueront, pour la simple raison que… nous allons lire les leurs. C’est inutile de proposer des manuscrits à des auteurs célèbres (qui n’auront pas le temps de les lire, ni une raison pour le faire) et c’est également inutile est de se faire lire par ses parents et ses amis, dont le jugement sera forcément faussé. Ses égaux, et seules ses égaux, sont le banc d’essai du futur écrivain ou de la future écrivaine.

Bibliographie française :

SANTONI, Vanni, Écrire, mode d’emploi, traduction de Lise Chapuis, Denoël éditeur, 2021, p. 144 

Bibliographie italienne :

SANTONI, Vanni, La scrittura non si insegna, Minimum fax, 2020, p. 96

SANTONI, Vanni, La verità su tutto, Mondadori, 2022, p. 300

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  1. 👏👏👏👏👏

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