TPS2021 : Conversation avec Alessandro Robecchi
Alessandro Robecchi est l’auteur de nombreux romans dont Ceci n’est pas une chanson d’amour, lauréat du prix Violeta Negra Occitanie 2021. Nous l’avons rencontré pour parler de son œuvre et mieux connaître son travail.

Alessandro Robecchi, vous êtes écrivain, mais aussi scénariste pour la télévision italienne et ancien journaliste. Comment avez-vous commencé à écrire et pourquoi avez-vous choisi d’écrire des polars ?
Je suis devenu journaliste il y a quarante ans et, comme tous les journalistes, je pense du journalisme tout le mal du monde. Néanmoins, ce métier m’a permis de maîtriser la parole écrite. J’ai choisi d’écrire des polars pour deux raisons. Tout d’abord, j’en suis un grand lecteur : à mes yeux, Crime et châtiment est un grand polar, Thérèse Raquin est le roman noir parfait. Ensuite, je crois que ce genre permet à l’écrivain d’écrire comme il n’oserait pas le faire dans un roman « normal ». Le polar est tellement poreux que nous pouvons raconter n’importe quelle histoire avec. Ce qui m’intéresse, c’est parler de nous, et une enquête sur un délit est toujours une enquête sur la société.
Si l’on comparait la ville de Milan à un personnage, elle serait le protagoniste de vos romans. Comment gérez-vous le paysage dans votre construction littéraire ?
Le choix du décor est vite expliqué, puisque j’habite à Milan depuis toujours. Je crois par contre que cette ville est victime de tous les lieux communs : on dit que Milan est une ville grise, qu’elle n’est faite que pour y travailler… Cela pouvait être vrai il y a cinquante ans, mais ne l’est plus maintenant. En Italie, les personnes croient vraiment au lieu commun selon lequel tous ceux qui habitent à Milan sont des designers ou des mannequins. Mais ce n’est pas vrai, nous ne vivons pas tous dans le « bosco verticale » ou sur la place Gae Aulenti.
Milan est aussi victime d’une narration toxique : on la décrit souvent comme la ville italienne au premier plan concernant tout et n’importe quoi, la mode, le design, l’argent facile. Cette narration et ces lieux communs ont fait de Milan une caricature d’elle-même, alors que c’est une ville compliquée. Les grands narrateurs de Milan, Giovanni Testori, Enzo Jannacci, Dario Fo, Luciano Bianciardi avec La Vita agra, en ont toujours décrit les ombres, même dans ses périodes de grande lumière. Mais depuis vingt ou trente ans, l’inverse est vrai : tout va bien, tout est beau, Milan est le modèle du pays. Nous devons garder à l’esprit que là où il y a de la lumière, il y a forcément de l’ombre. Je voulais, avec mes romans, rendre un peu de vérité à Milan. C’est une ville interclassiste, et c’est une petite ville, à la différence de Rome. Toutes les contradictions s’y trouvent rassemblées, il suffit de se tromper d’arrêt de métro pour se retrouver dans un autre monde. J’aime beaucoup cela.
Carlo Monterossi est votre enquêteur, votre personnage fétiche. Comment est-il né et comment survit-il roman après roman ?
Il est né par hasard, comme pour tout. Quand j’ai écrit le premier roman de la série, Ceci n’est pas une chanson d’amour, je n’imaginais pas qu’il vivrait si longtemps. Six mois après sa publication, quand l’éditeur m’a appelé pour avoir le deuxième livre, j’étais le premier à être surpris. Je voulais que Carlo Monterossi soit quelqu’un de bien dans un monde malsain. Il n’est pas cynique, il est un grand romantique et, disons-le, aussi un peu couillon. Mais il vit dans le monde le plus cynique que je connaisse. La Corée du Nord, je ne connaissais pas assez, alors j’ai utilisé la télévision italienne. La télévision que j’ai choisie pour Monterossi est celle où l’on fait de la vie des gens du spectacle, jusqu’au voyeurisme et à l’attention morbide. À mes yeux, c’est intolérable. Bien sûr, c’est faux. Mais c’est construit pour être aussi vrai que le réel. La télévision est ainsi faite, elle doit être plus vraie que le réel. Même l’histoire la plus vraie ne suffit pas. En plus, Monterossi est aussi très bien payé pour faire quelque chose qu’au fond – et pas qu’au fond – il déteste. Cela donne de la mélancolie au personnage, quelque chose de non résolu. Il essaye d’en sortir depuis le premier livre, mais d’une façon ou d’une autre il finit toujours par retomber dedans. C’est un homme malheureux de son succès, une figure qui me fascinait particulièrement. Je l’aime beaucoup, mon Monterossi.
Dans vos romans, il y a de la musique partout. Carlo Monterossi est un passionné de Bob Dylan et utiliser des titres de morceaux dans le texte semble être une tendance contemporaine. Haruki Murakami le fait beaucoup. Pourquoi évoquer aussi souvent la musique sur une page écrite ?
Quand j’ai commencé à construire Carlo Monterossi, j’ai commencé à lui attribuer ces nostalgies : ces femmes qui l’avaient abandonné, ces amours lointaines. J’ai alors voulu lui donner un vrai amour, et je lui ai donné une passion pour Bob Dylan. Mais Bob Dylan est aussi l’auteur contemporain que je connais le mieux. Et dans l’œuvre de Dylan, comme dans la Bible ou dans Shakespeare, on trouvera toujours un vers, une ligne pour mettre les mots sur un mouvement du cœur. Des mots bien meilleurs que ceux que moi ou Monterossi pourrions trouver. C’est pour ça qu’existent les poètes, utilisons-les, donc ! Enlevons donc les toiles d’araignées de ces vers ! Enlevons le mythe des poètes et répétons-les ! Bob Dylan est un poète avant tout, mais en ce qui concerne la musique, elle existe dans la vraie vie et il y a de tout, donc pourquoi pas dans les romans ? En écrivant je me suis rendu compte de comment, en insérant de la musique, le monde dans le roman changeait complètement. Maintenant je fais très attention quand je mets des sons dans les pages, parce que cela équivaut à utiliser un adjectif, une couleur.
Quels sont les écrivains français qui vous ont influencé ?
Je ne connais pas très bien la scène actuelle, mais je suis un grand lecteur de romans du XIXe siècle. Et là, la seule alternative aux Français, ce sont les Russes, n’est-ce pas ? J’adore Zola, il est mon phare dans la nuit. Même dans le choix d’écrire des polars. On ne peut pas écrire quelque chose sur le remords, si on n’a pas lu Thérèse Raquin. Il faut lire ceux qui l’ont bien fait avant d’écrire nous-mêmes, cela me semble logique. Quand j’écris, je ne veux pas lire les contemporains, donc je me réfugie là-bas. Je me suis toujours senti bien accueilli.
Bibliographie française :
ROBECCHI Alessandro, Ceci n’est pas une chanson d’amour, Éditions de l’Aube 2020, pp. 424, traduction de Paolo Bellomo avec le concours d’Agathe Lauriot dit Prévost.
(Lauréat du prix Violeta Negra Occitanie 2021)
Bibliographie italienne :
ROBECCHI Alessandro, Questa non è una canzone d’amore, Sellerio editore Palermo 2014, pp. 432
Laisser un commentaire