Site icon La Bibliotheque Italienne

Conversation avec Valentina Diana

Par Gessica Franco Carlevero

Valentina Diana, autoportrait

Valentina Diana est née à Turin en 1968. Elle travaille dans le théâtre en tant qu’actrice et dramaturge. De plus, elle a publié Dégage, (Smamma) et Mariti o Le imperfezioni di Gi.

J’ai rencontré Valentina Diana en 2010. Mais ce ne serait pas correct de dire que je l’ai rencontrée : plutôt, j’ai commencé à l’espionner.

À cette époque-là, je travaillais au Festival delle Colline Torinesi, où je tenais une rubrique qui s’appelait « Note di retroscena » (Notes des coulisses). Cette année-là Valentina Diana prenait part à la quinzième édition du Festival avec le studio Still Live, avec Lorenzo Fontana.
Bref, je suivais les répétitions deux ou trois fois par semaine aux Fonderie Limone, et je prenais des notes afin d’écrire des articles qui sortaient par la suite sur le site du Festival.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à espionner Valentina — je dis espionner, car il y avait quelque chose dans sa façon de jouer et de parler qui me plaisait énormément, mais qui en même temps me gênait. Ainsi, je ne lui disais jamais bonjour. J’essayais de m’effacer. Ensuite, j’ai continué à voir ses spectacles, sans jamais rien dire. Puis, en 2014, son premier roman, Smamma (Dégage), est sorti chez Einaudi. En 2015, Mariti est sorti.

Finalement, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai écrit pour lui poser des questions à propos de sa méthode de travail.

De son coté, Valentina a été d’une telle gentillesse qu’elle m’a fait regretter de ne lui avoir jamais dit bonjour à l’époque où j’habitais à Turin.

– Où t’assois-tu pour écrire et de quoi as-tu besoin pour commencer ?

Un carnet et mon ordinateur, mais parfois il m’arrive même d’écrire sur la dernière page blanche du livre que je suis en train de lire, ou sur des feuilles volantes.

Parfois je m’envoie des courriels. J’écris partout : sur mon lit, dans la cuisine, dans le train, au cinéma. J’ai même appris à écrire dans l’obscurité.

–  Comment arrives-tu à rassembler tes idées pour un roman ? Est-ce que tu connais l’histoire dès le départ, ou l’histoire se compose-t-elle de petits morceaux, petit à petit ?

Je pars d’une idée, mais ensuite celle-ci développe une vie autonome ; elle a son temps de réalisation à elle et aboutit à quelque chose de différent — même de très différent — de ce à quoi je pensais au tout début.

– Pour toi, qu’est-ce qu’un blocage, une difficulté dans l’écriture ? Et si cela t’est déjà arrivé, comment l’as-tu envisagé ?

J’en fais continuellement, toutes les semaines, tous les deux jours. C’est comme si rien n’avait plus de sens et que tu ne reconnaissais plus les choses, et plus tu cherches, et moins tu parviens à les trouver. À ce moment-là, il ne te reste plus qu’à demeurer dans cet état et à renoncer, mais la résignation n’arrive pas, alors tu te désespères. Enfin tu te distrais, et voilà que la résignation arrive, et tu penses à autre chose, quelque chose de peut-être bien différent des idées que tu avais quittées précédemment. Ainsi, tu es heureux pour quelque temps. Mais ce n’est jamais pour longtemps.

– Tes romans possèdent une langue quotidienne, simple, ton style est si coulant qu’on dirait qu’il s’écrit de lui-même. Est-ce que ça se passe ainsi, ou y a-t-il un travail important d’écriture avant d’aboutir à ce résultat ? Dans ce cas-là, de quel travail s’agit-il ?

Oui. Je dirais que, dans mon travail d’écriture, il s’agit surtout de chercher des mots simples plutôt que l’enchevêtrement. L’enchevêtrement, ce sont les mots inutiles ou tricheurs. Par là, je me réfère à toute chose qui va tout autour de l’écriture, mais qui n’est pas de l’écriture, plutôt de la tricherie, de la séduction de l’écriture, de l’intellectualisme narcissique.

Lorsque ça t’arrive, tu crois écrire un chef-d’œuvre, mais le lendemain tu te relis et ça ne dit plus rien.

– En te lisant, j’ai l’impression que tu as une langue chantée. Comment atteins-tu cette musicalité des phrases, est-ce que tu lis tes pages à haute voix ?

C’est une voix qui danse dans ma tête dans mes bons jours, c’est une voix légère qui arrive et qu’il faut chevaucher. Oui, c’est une sorte de chant. Mais je ne lis pas souvent à voix haute, car ma voix m’énerve. Je le fais plus tard, une fois que j’ai tout terminé.

– Selon toi, faut-il savoir faire quelque chose de particulier pour écrire un roman ? Dans le sens où, pour jouer de la guitare, il faut au moins connaître les accords ; de même, pour faire de la photographie il faut faire la mise au point… Et pour écrire un roman ?

Je n’ai pas de recettes, aucune recette ne marche.

Un roman est quelque chose de complexe parce qu’il est une tentation de répondre à une question, mais parfois la question elle-même me paraît peu claire. Je ne pars jamais d’une structure, mais plutôt d’un centre de sens. Je me dis : ça m’intéresse de parler de cela, et puis j’attends. Comme un lézard. Je prête attention à tout ce qu’il se passe à propos de ce centre, à tout ce qui me parle. J’écris. Ensuite, à un moment donné, c’est l’idée qui prend forme, qui se structure selon des plans et des significations, en devenant un accord.

Je connais des gens qui travaillent avant tout sur une structure très détaillée, en y mettant d’abord la signification ; je les envie beaucoup, car je suis totalement incapable de faire ça. Je crois que ça a à voir avec le sens de l’orientation. Moi, je me perds partout. Je dois me servir d’un système de mémoires minimales, de petits éléments, afin de trouver le chemin. Ce n’est qu’à un certain moment que je m’aperçois du pays où je me trouve, de ce qui m’entoure.

– Tu as aussi écrit plusieurs pièces de théâtre. Quelles sont les différences entre le texte dramatique et le texte narratif ?

Écrire pour le théâtre signifie renoncer à tout exprimer par l’emploi de la parole, car autrement, aux acteurs, il ne leur reste qu’à décrire, et alors il n’y a plus de liberté d’action. Dans le théâtre, l’action est primordiale. Écrire du théâtre signifie créer des blancs, des trous, des espaces de liberté et de non-dits. Il s’agit d’un exercice de soustraction. Écrire en prose est très différent, car l’action devient parole, le silence ne se trouvant que dans ce que tu écris. Dans un certain sens, c’est au lecteur de l’intégrer à l’aide de son propre imaginaire.

 

Ici on peut lire l’article en italien

Traduction de Marta Somazzi

 

Quitter la version mobile