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Cuori di seppia, de Filippo De Matteis

Par Cinzia Dezi

La littérature a souvent à faire avec un deuil ou une séparation. S’il n’y a pas cette rupture, rien ne se passe. Justement Filippo De Matteis – né en 1981 dans les Pouilles, au sud de l’Italie – se confronte à cela : son protagoniste doit affronter la perte de sa grand-mère, la seule personne adulte qui lui restait, car ses parents sont morts tous les deux quand il était petit. Même si l’on peut considérer la mort comme un événement naturel, il n’y a rien de naturel dans le fait de l’accepter et c’est d’ailleurs pour essayer de l’expliquer que les religions sont nées. Mais sans aller si loin – nous ne sommes pas ici pour parler d’anthropologie religieuse –, voyons comment Filippo De Matteis confronte son protagoniste à ce mystère de la disparition de sa grand-mère ; en effet, elle s’en va avec une lettre dans sa poche, dans laquelle la mort d’une certaine Mme Laure Berdych est annoncée. Qui est cette dame ? Pourquoi apparaît-il que la grand-mère de notre protagoniste était triste à cause d’elle quand elle est décédée ? À quoi est due cette tristesse ? C’est ce qu’on va voir dans notre petit article, sans trop en dévoiler pour ne pas vous gâcher le suspense de la lecture du roman.

Tout d’abord, il faut dire que le roman est dédié à Carmelo Bene, le grand acteur, metteur en scène et écrivain qui a marqué l’histoire du théâtre de la deuxième moitié du XXe siècle avec ses idées bouleversantes et innovatrices. Ce que l’on retrouve de théâtral dans l’œuvre de De Matteis, c’est l’utilisation d’un champ sémantique lié à la mise en scène : il construit une fable noire dans laquelle on ressent aussi des échos d’Edgar Allan Poe, le maître des récits gothiques et d’horreur.

Notre protagoniste commence son enquête dans les Pouilles et il la conclue en Belgique, où vit encore le père de Laure Berdych, Jérôme, un médecin célèbre pour ses études sur la schizophrénie, mais depuis longtemps tombé en disgrâce et, après cela, devenu lui-même malade. Il vit à la lisière d’une chêneraie, dans une maison qui n’a rien à envier aux géométries impossibles dessinées par Escher. Avec cette géométrie imaginaire, De Matteis commence à tracer la désintégration du « Je » de ce personnage, une dissolution qui, dans ce roman, touche aussi le rapport père-fille et la famille en général.

Les personnages féminins peints par l’écrivain sont souvent des femmes fatales, belles et terribles, comme la dernière femme du médecin Jérôme Berdych, avec ses cheveux roux acajou, splendide, intelligente et sans pitié.

Personnellement je crois que la deuxième partie du roman, qui correspond à la découverte du journal intime de Laure, grâce auquel on arrive à reconstruire le casse-tête de l’intrigue, est la partie la moins réussie du livre, celle qui essaie d’être la plus littéraire, mais qui parfois risque de l’être un peu trop, en se coinçant dans « la rhétorique du cœur de seiche » qui appartient à notre protagoniste. Mais c’est une question des goûts. On voit bien que De Matteis a construit une œuvre soignée et qu’il a une connaissance approfondie de la psychiatrie et de la psychothérapie, dont il cite différentes études. Il a dû faire un travail de recherche non négligeable pour l’écriture de ce roman ; c’est pourquoi il a sûrement mérité le prix du comité de lecture du Festival du Premier Roman de Chambéry qu’il a remporté en cette année 2018. Félicitations, Filippo !

DE MATTEIS, Filippo, Cuori di seppia, Elliot edizioni, 2017, 189 pages.

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