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Conversation avec la traductrice Murielle Hervé-Morier

Par Martina Petrucci

Murielle Hervé-Morier est à la fois romancière et traductrice. Après avoir été journaliste et correspondante de presse, elle a consacré sa carrière à l’écriture de romans policiers et à la traduction littéraire de l’italien vers le français. Elle a étudié à l’université de Toulouse et ensuite à l’université pour étrangers de Perugia (Pérouse – Italie). Aujourd’hui, elle travaille pour le compte de différentes maisons d’édition dont Les Éditions des Lacs, un éditeur qui vient de publier le roman Il y a des jours où je suis heureuse de l’autrice italienne Lucrezia Lerro.

Nous avons eu l’occasion de créer une correspondance avec elle, dont l’échange nous a permis d’aborder et d’explorer certaines thématiques fondamentales du milieu de la traduction.

Cet échange est une occasion de s’approcher du monde réel de la traduction, influencé par son passé mais aussi tourné vers son futur. Quels sont les secrets de ce type d’écriture, en particulier d’un point de vue professionnel ?

En tant que jeune traductrice, je voudrais vous poser certaines questions à propos du début de votre carrière. Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir traductrice et surtout, comment êtes-vous entrée en contact avec des maisons d’édition ?

J’ai toujours beaucoup lu et aimé lire. Sans chercher à être publiée, je consacrais aussi pas mal de temps à l’écriture. J’ai aussi la chance de pouvoir lire en V.O. sans difficulté. À partir de là, mon projet professionnel s’est peu à peu affiné. Comme j’avais déjà traduit plusieurs livres, j’ai sollicité des maisons d’édition en leur proposant mes manuscrits. Ces textes ont été retenus, l’aventure a pu commencer.

Je me permets d’ailleurs de signaler qu’au cours de la période 2019-2020, des éditeurs avaient manifesté un intérêt pour certaines de mes traductions, les complications liées à l’actualité ont bouleversé leurs projets… Ainsi ces écrits d’auteurs italiens dont l’œuvre est encore inédite en France cherchent toujours preneurs.

Comment fonctionne le rapport entre l’éditeur et le traducteur ? Car parfois les consignes sont assez strictes, comme les dates limites à respecter ou certaines demandes qui peuvent changer d’une maison d’édition à l’autre...

C’est, je pense, juste une question d’organisation et de capacité d’adaptation.

Et qu’est-ce qu’on ressent après la première publication ?

Tout d’abord une joie immense. Même si j’ai régulièrement des commandes de traduction, comme je le disais, mes premières publications correspondent à des propositions éditoriales « spontanées » que j’ai formulées en fonction de mes propres goûts littéraires. Être publiée dans ces conditions est, je crois, encore plus valorisant. En effet, avoir réussi à capter l’attention de professionnels qui croulent sous les manuscrits est déjà une belle reconnaissance ! Ensuite, permettre à des lecteurs d’entrer en relation avec un univers littéraire qui me tient particulièrement à cœur me touche également beaucoup. En tout état, qu’il s’agisse de commandes ou de propositions de traductions, faire partager son travail est une forme d’accomplissement qui apporte énormément de bonheur.

Vous êtes aussi une écrivaine de romans policiers. Comment faites-vous pour distinguer la frontière entre le travail de romancière et celui de traductrice ? Parfois il y a des libertés qu’un traducteur ne peut pas prendre, alors qu’un écrivain est certainement moins contraint. N’avez-vous jamais eu l’impression de devoir passer d’une personnalité à l’autre en exerçant vos deux métiers ? Ou peut-être considérez-vous que ces deux activités se situent au même niveau ?

Je vois que vous vous êtes bien renseignée ! Cela me fait très plaisir. En effet, je me suis amusée sous le pseudo d’Iris Rivaldi à inventer un personnage à qui je fais vivre des aventures policières aux côtés d’autres compagnons. Et je crois pouvoir affirmer que ce petit monde évolue en roue libre ! Rien à voir avec ma manière d’aborder un travail de traduction. Même si, que ce soit en tant qu’autrice ou traductrice, j’ai toujours à cœur le plaisir d’écrire, je ne perds pas de vue que le traducteur n’est pas l’auteur du texte. Je ne confonds donc jamais ces deux aspects. J’enfonce là une immense porte ouverte pour souligner que traduire signifie s’immiscer dans le travail de quelqu’un d’autre. Et, dans mon rôle de traductrice, j’ai donc une responsabilité sur ce que va devenir le fruit de tous ces efforts. Même si cela mériterait bien des développements, pour résumer, je dirais que traduire consiste à respecter la proximité avec le texte d’origine tout en rendant le propos fluide pour un lectorat français.

[…] Plus précisément, dans le roman Il y a des jours où je suis heureuse, de Lucrezia Lerro (publié par les Éditions de Lacs en 2021), n’y avait-il pas des éléments particulièrement difficiles à reproduire en langue française lors de la transposition ?

Aucun travail de traduction n’est simple a priori et je dois, en tout premier lieu, préciser que traduire Lucrezia Lerro est pour moi un plaisir sans cesse renouvelé tant j’adore ses écrits, que je trouve d’une justesse et d’une intensité plutôt rares. Cette autrice a le don de fouiller la psychologie de ses personnages avec une extrême habileté et son analyse est toujours très pointue. De plus, elle sait aborder des questions de société pour le moins délicates : l’anorexie-boulimie, le dénuement économique, les rapports hommes-femmes, les relations familiales conflictuelles, l’inceste, la folie…

Malgré la complexité et la variété des thèmes évoqués, elle réussit avec une économie d’effets à faire passer des messages forts. Toute son œuvre est aussi assez imagée, c’est un avantage certain, mais également une difficulté. Avec en bonus une atmosphère toujours très « italienne » qu’il faut bien évidemment arriver à retranscrire et, autant que possible, faire aussi ressentir au lecteur. Quand je lis, je m’immerge totalement et je visualise les situations, ce qui m’aide beaucoup. Mes principaux défis ont donc été de restituer toute la force de son propos en français, dans le respect de cette ambiance si particulière.

Enfin, qu’est-ce que la traduction pour vous ? Si vous deviez trouver un synonyme pour le mot « traduction », lequel choisiriez-vous ?

Il m’en vient plusieurs ! En effet, selon l’angle de vue, le travail de traduction peut prendre différents aspects. Sur un plan purement technique, j’y vois d’abord le « détricotage » d’un vêtement littéraire dans le but de créer une autre pièce d’habillement. D’un point de vue plus affectif, passer d’une langue à l’autre peut aussi correspondre à une sorte de « transmission » ; traduire permet en effet de rendre certains textes accessibles en les faisant découvrir à plus de monde. Mais, le terme « réappropriation » me paraît convenir le mieux. En effet, au final, le texte traduit doit appartenir aux lecteurs de la langue cible. Une traduction réussie est celle qui fait totalement oublier le traducteur.

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