Site icon La Bibliotheque Italienne

Severa, de Maria Messina

De Martina Petrucci

Maria Messina, née à Palerme (Sicile) en 1887, est une écrivaine de nouvelles et de romans, qui place au centre de son œuvre la marginalisation et la soumission des femmes. Après une instruction d’autodidacte et grâce aux encouragements de son frère, elle s’est lancée dans une carrière d’écrivaine. Durant sa vie, elle a déménagé dans plusieurs villes de l’Italie fasciste et en 1994 elle est morte à Pistoia (Toscane), des suites de la maladie qu’on lui avait diagnostiquée à l’âge de 20 ans, la sclérose en plaques.

Après une période d’oubli, l’écriture de Messina a été redécouverte par Leonardo Sciascia.

En ce qui concerne son style, elle a surement été influencée par le mouvement vériste, après avoir découvert la correspondance épistolaire avec Giovanni Verga. De plus, l’écrivain sicilien Alessio Di Giovanni et l’éditeur florentin Enrico Bemporad ont été deux autres figures avec lesquelles elle a souvent été en contact. Bien qu’elle se rapproche du vérisme avec l’attention particulière qu’elle a portée à la réalité objective – presque pessimiste – l’empreinte de l’écriture de Messina est avant tout féminine : en effet, à travers ses nouvelles et ses romans elle a mis au premier plan l’oppression des femmes et leurs vies refermées sur l’espace domestique, comme dans La maison dans l’impasse.

Severa est son dernier roman, publié en 1993 par la maison d’édition italienne Sellerio et traduit en français par Marguerite Pozzoli aux éditions Cambourakis.

Il s’agit de l’histoire de deux sœurs de condition modeste qui vivent près de Bologne, au début du XXsiècle. Leur maison est située en face de la place de Santa Maria, à côté du palais Renzoni, comme l’écrivaine la décrit dans l’incipit :

« La place de Santa Maria, un peu à l’écart, n’avait rien de beau. Et pourtant, Myriam passait presque toute la journée à travailler devant la fenêtre basse, qui s’ouvrait juste en face de l’église.
[…] On ne voyait rien de beau, en vérité, et Severa n’avait pas tort de dire que lorsqu’on restait assise là, on avait l’impression de se tenir derrière les grilles d’un couvent. La place, habituellement peu fréquentée, était fermée, d’un côté par le palais des nobles Renzoni, aux murs très hauts, d’un rose qui devenait rougeâtre dès qu’il pleuvait, et par le néflier qui cachait deux fenêtres, de l’autre par une grosse bâtisse majestueuse et en ruine que l’on devait abattre afin d’élargir la rua di Carlomagno […] Entre deux aiguillées, Myriam regardait aussi en direction de la fontaine, amusée par de petites scènes sans cesse renouvelées. »

Comme on peut le remarquer, l’écriture de Messina est très claire et descriptive, elle parvient à nous faire observer la vision du personnage de manière presque réelle. En outre, dès les premières lignes, Severa est présentée comme une fille critique et « sévère » dans le vrai sens du terme. D’un côté, Myriam ressent des émotions en jetant un simple coup d’œil dehors ; de l’autre, sa sœur aînée exprime des opinions. En effet cette dernière ne veut accepter ni le système patriarcal de l’époque ni la tendance des femmes à se soumettre à la vie domestique. Severa est différente de sa mère, Mme Emilia, et de sa sœur : elle est « raisonnable et si intelligente », « instruite », sa chambre est « pleine de livres » ; alors que Myriam est « naïve et ignorante », sa seule ambition est d’être belle, bien habillée et de se marier un jour.

La fille aînée est constamment possédée par une certaine rage à l’égard des femmes opprimées et de leurs justifications, comme elle le déclare à sa sœur :

« Je le forcerai ce destin ! Je ne me laisserai pas écraser comme toi, comme maman, comme beaucoup de femmes que je connais et qui ne me font pas pitié : au contraire, elles me mettent en rage, parce que chacun de nous a le destin qu’il mérite. »

Petit à petit, Severa commence à s’éloigner de sa famille, dont le frère Pierino est un garçon très simple et le père, M. Santi, est malade et n’arrive plus à rester debout. La résistance de l’héroïne face aux difficultés et sa force de rébellion devant le triste destin des femmes de sa famille lui donnent la possibilité de connaître une période de succès dans le domaine de la mode, en devenant la modiste la plus connue de sa ville.

Avec son écriture lucide, Maria Messina parvient à faire entrer le lecteur dans le monde des femmes, qui doivent se plier à de nombreux sacrifices pour réussir dans leurs vies. La solitude de la femme moderne et la lutte pour le futur sont deux thématiques centrales pour l’autrice, qui les met en scène accompagnées par une atmosphère évocatrice de l’état d’âme des héroïnes, dont l’introspection psychologique est rendue visible grâce à tout ce qu’elles pensent et ressentent, à leurs réactions, et même grâce à des petits détails. En effet, l’écrivaine permet au lecteur de se transporter dans une exploration minutieuse des espaces extérieurs et de l’intériorité des personnages. Ce qui ressort de la narration de Messina et de ses héroïnes célibataires est l’injustice préétablie, face à laquelle seule Severa trouve la force de combattre.

La question à se poser est donc « La fille aînée réussira-t-elle à modifier l’ordre du système patriarcal et à prendre sa place dans la société ? » ou « Ne s’agit-il que d’une illusion où la Providence prendra le dessus ? »

À vous de le découvrir.

Bibliographie en français
MESSINA, Maria, Severa, traduction de Marguerite Pozzoli, Éditions Cambourakis, Paris, 2021, 138 pages.

Bibliographie en italien
MESSINA, Maria, L’amore negato, Sellerio, Palermo, 1993, 132 pages.

Quitter la version mobile