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Calvino et la France d’aujourd’hui. Une conversation avec Fabio Gambaro

Fabio Gambaro

par Monica Battisti

Fabio Gambaro, ancien directeur de l’Institut culturel italien de Paris, est journaliste, essayiste, consultant dans l’édition, co-fondateur et directeur du festival Italissimo dédié à la culture et à la littérature italiennes. Son dernier ouvrage est Lo scoiattolo sulla Senna (Feltrinelli, 2023), consacré aux années parisiennes d’Italo Calvino.

Fabio Gambaro, ancien directeur de l’Institut culturel italien de Paris, est journaliste, essayiste, consultant dans l’édition, co-fondateur et directeur du festival Italissimo dédié à la culture et à la littérature italiennes. Son dernier ouvrage est Lo scoiattolo sulla Senna (Feltrinelli, 2023), consacré aux années parisiennes d’Italo Calvino.

Commençons par une question très générale, qui nous introduit dans le vif du sujet. Pour le centenaire de la naissance d’Italo Calvino, en Italie, on l’aborde sous tous les angles possibles : aux Scuderie del Quirinale, on explore ses liens avec l’art dans l’exposition « Favoloso Calvino », lors du colloque international de Rome du mois d’octobre ont été approfondis ses liens avec Fellini et le cinéma, etc. Qu’est-ce qui a été fait en France pour célébrer l’un des auteurs italiens les plus aimés ? 

Plusieurs choses ont été faites tout au long de l’année. A Paris en avril, dans le cadre du festival Italissimo, nous avons organisé des lectures de textes et des rencontres autour de Calvino, avec des critiques et des personnalités de l’Oulipo qui ont travaillé avec lui. Il y a également eu une petite exposition à l’occasion du Salon du livre au Grand Palais Ephémère. Récemment, à la Sorbonne Nouvelle, une journée d’étude a été consacrée à Calvino. En ce moment, à l’IIC, il y a une exposition sur les illustrateurs de Calvino [jusqu’au 12 janvier], tandis qu’à la Maison de l’Italie [jusqu’au 6 novembre], une autre expose des livres et des documents de Calvino – il s’agit d’une version réduite de l’exposition qui a été présentée au centre culturel Kasa dei Libri à Milan – et dans le cadre de cette exposition, un programme des rencontres a été mis en place. Il y aura également à l’Institut culturel une ou deux soirées sur Calvino, dont la présentation de mon livre. 

S’agit-il d’un intérêt, voire d’un culte, purement parisien, ou d’autres initiatives ont-elles été prises ailleurs ? 

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un intérêt exclusivement parisien. A l’Institut culturel italien de Lyon, cet été, il y a eu la même exposition que celle qui est maintenant à Paris, ainsi que des rencontres avec Domenico Scarpa, etc. A Marseille, en mai, dans le cadre du festival « Oh les beaux jours ! », j’ai coordonné une table ronde avec notamment Martin Rueff et Chiara Mazzalama, pendant laquelle on a projeté des extraits audios et des images d’archives. Sans parler des publications : Gallimard a publié en traduction un choix des lettres de Calvino, ainsi que de nouvelles traductions. La grande publication du Cahier de l’Herne sur Calvino se prépare aussi, il sortira en 2024 (en retard), tout comme le volume que la Pléiade va dédier à l’auteur italien. Il faut rappeler que Calvino est le sixième auteur italien accueilli au sein de la Pléiade, après Dante, Machiavel, Goldoni, Casanova et Pirandello ! Même si ce n’est pas à la hauteur de ce qu’il y a en ce moment en Italie, il y a quand même eu des choses.

A ce propos, on sait – tu le racontes dans ton livre – que les œuvres de Calvino ont été lues à l’école française à partir des années 80, notamment Le baron perché et Marcovaldo. On peut dire que le succès ne l’a plus abandonné depuis ces années-là, au point qu’en France on connait davantage son œuvre que celle d’une prix Nobel comme Grazia Deledda. Il y a eu d’autres cas moins heureux. Giuseppe Ungaretti avait des liens avec la France très forts, il y a même une plaque qui le mentionne rue des Carmes ; dans sa maturité, il n’a pas vécu à Paris, mais la ville était son deuxième chez lui, et je me souviens qu’un professeur soixantenaire de la Sorbonne me racontait en 2015 que le poème « I fiumi » était sorti aux épreuves de son baccalauréat. Pourtant, aujourd’hui, il est presque totalement oublié. Pourquoi ces destins différents à ton avis ? Qu’est-ce qui rend Calvino « intramontabile », même vis-à-vis du public français ?

Tout d’abord, Calvino est plus récent, plus « contemporain » : Deledda, Ungaretti, malgré la date de la mort de celui-ci, sont des auteurs qu’on attribue plutôt à la première moitié du XXe siècle. On pourrait alors se demander pourquoi Pavese, Vittorini, ou d’autres de la même génération que celle de l’ « Ecureuil », n’ont pas eu le même destin, mais cela est dû tout d’abord au fait que Calvino a vécu en France, qu’il avait un lien très étroit avec la culture française. Ensuite, la richesse de son œuvre est telle que chacun peut y trouver son compte : on peut apprécier le Calvino des années 70 plus structuraliste, plus complexe, plus abstrait, tout comme le Calvino des faibles ou du Baron perché. Ceux qui aiment le Calvino proche de la science-fiction chercheront le Calvino des Cosmicomis, alors que ceux qui aiment lire au premier degré liront plutôt Le chevalier inexistant. En outre, il s’agit souvent de lectures assez faciles, ce qui lui a permis de rentrer dans le canon de l’école, qui à son tour joue un rôle important dans la popularité d’un auteur : quand je parle avec Mondadori, ils remarquent que les ventes des Oscar des différents livres enregistrent une montée en flèche entre mai et juillet, lorsque les enseignants conseillent Calvino pour l’été, avant de redescendre. En plus, je pense que le passage de Seuil à Gallimard a joué aussi, parce que Gallimard a payé cher pour récupérer les droits de Calvino, et a donc produit un véritable effort pour le remettre en circulation dans les librairies. Bon, tout cela concerne la sociologie de la littérature, mais évidemment on ne doit pas oublier la question de la qualité de ses textes. Chez Calvino, il y a une volonté de connaissance du monde dans ses différents aspects, une idée de la littérature comme connaissance, qui donne beaucoup au lecteur ; les réflexions universelles, malgré leurs spécificités (le contexte historique, par exemple), contribuent au succès d’un auteur. Même s’il y a quelques textes qui sont un peu datés, plus difficiles à comprendre aujourd’hui, comme La journée d’un scrutateur, d’autres ont un côté tout à fait contemporain comme La spéculation immobilière.  Finalement, ce sont des textes qu’on lit avec plaisir, qui emballent le lecteur. En revanche, contrairement à Ungaretti, Calvino n’a pas de plaque à Paris, dans aucun de ses deux anciens logements (le pavillon du square de Chatillon et l’appartement du boulevard Saint-Germain).

Cela peut sembler en contradiction avec le fait qu’en Italie la phase parisienne de Calvino, entre 1967 et 1980, soit aussi peu connue. Encore une fois, si on pense à Ungaretti, même s’il a au bout du compte vécu moins d’années à Paris, Paris est toujours bien présente dans sa biographie, parfaitement « assimilée ». Pourquoi donc une lacune aussi grave, que ton livre a voulu combler une fois pour toutes ?

C’est difficile de répondre, car il n’y a pas une seule raison. Plutôt que d’une lacune, je parlerais de refoulement. La seule biographie complète sur Calvino a été écrite par un Espagnol et a été traduite en italien cette année. Bien sûr, les spécialistes de Calvino connaissent très bien ces années parisiennes et leur importance, mais le public plus large n’est effectivement pas très au courant. D’abord, je trouve qu’en Italie on est en général moins intéressé par les études biographiques, contrairement aux études stylistiques : sur Calvino, il y a des centaines d’essais et d’analyses, mais avec un œil surtout critique. Ensuite, je pense que la réception en Italie de la période française de Calvino n’a pas été simple : une partie du monde intellectuel italien lui a reproché cet « exil » parisien, cette dérive française, dans un contexte délicat comme celui des années 70 – des années de plomb, des contestations –, dominé par l’idée que tout devait être politique. Et puis les œuvres issues de la phase parisienne ont été perçues par une partie de la critique comme une trahison par rapport à la première époque : le vrai Calvino pour eux avait été celui-là. 

Peut-être il y a aussi un peu de « provincialismo » à l’italienne, dans la façon de traiter la période parisienne de ses « propres » auteurs. Il reste des choses à faire, par exemple, autour de Nella Nobili, Alba de Céspedes, dont la période parisienne est méconnue. Et par ailleurs, c’était grâce à toi, pendant ta direction à l’Institut culturel italien, qu’un Cahier de l’Hôtel de Galliffet a été dédié à la production en français de Nella Nobili.

Bien sûr, la culture italienne vis-à-vis des pays étrangers a été toujours partagée entre jalousie et mise à distance. Bien qu’elle ait été toujours liée à la France, elle a regardé avec un certain soupçon ceux qui quittaient l’Italie. De toute façon, il n’y a jamais une seule explication : il se peut aussi que Calvino lui-même n’ait jamais revendiqué, assumé et valorisé cette période et son importance. 

En tout cas, ton livre montre bien à quel point ces années parisiennes sont essentielles pour comprendre sa phase de la maturité – celle du Château des destins croisés, des Villes invisibles et de Si par une nuit d’hiver un voyageur – et surtout son succès international. Il y a un deuxième malentendu que tu t’amuses à contester et renverser dans ton livre, à propos de son soi-disant isolement géographique et social, qu’on l’a habitude de résumer avec la formule « Eremita a Parigi », une formule en quelque sorte suggérée par Calvino lui-même dans une interview à Daniele Del Giudice (« negli anni settanta sono stato soprattutto l’eremita », en référence aux tarots du Château), puis devenue populaire à partir du titre d’un livre qui transcrit une interview réalisée par Nereo Rapetti en 1974. Car en effet, malgré son caractère timide, réservé, réticent, Calvino était un animal social et sociable, voire très sociable, n’est-ce pas ? 

Oui, c’est ça. Il ne faut pas imaginer qu’il était isolé à Paris. Alors que nous sommes habitués au fait que le monde intellectuel italien est dispersé sur toute l’Italie, dans les années 50 et 60 le monde de la culture était concentré à Paris, et pas génériquement à Paris, mais dans les arrondissements centraux de Paris ; et même si Calvino vivait dans le 14earrondissement, lorsqu’il se rendait chaque jour dans le Quartier latin pour acheter les journaux italiens, il y rencontrait tout le monde ; il y avait une sorte d’effet aquarium à Paris. Dans mon livre, en m’appuyant sur les documents et sur les témoignages directs des personnes qui l’ont connu, en particulier sa femme [Esther Judith Singer, dite Chichita], le fils qu’elle avait [Marcelo] et la fille du couple [Giovanna], j’ai essayé de reconstituer le vaste réseau des gens qu’il fréquentait, avec bien sûr différents degrés d’intimité et de fréquence. Il y avait des Italiens, des Français, des Sud-américains, etc. Parfois il s’agissait de personnes connues avant de déménager à Paris, comme Roland Barthes. Il y a sans doute d’autres personnes en plus de celles que j’ai citées dans mon livre – l’autre jour, je me suis dit que je devais vérifier si j’ai parlé de celle-là… En tout cas, elles relevaient en particulier du pôle du structuralisme, et du pôle de l’Oulipo. Concernant l’Oulipo, Calvino n’était pas forcément copain avec Queneau : en raison de leurs personnalités, ils ont toujours gardé des relations formelles et professionnelles, tout en s’admirant énormément. Cela dit, bien qu’Ernesto Ferrero, qui a bien connu Calvino, le décrive plus ironique et « humain » dans son dernier livre qui vient de sortir [Italo, Einaudi, 2023], Calvino reste Calvino, avec son caractère de Turinois très discret. Il s’exprimait sans difficulté mais avec une certaine lenteur, il cherchait ses mots.

Et donc, le titre que tu as donné au livre, reprenant la formule que Cesare Pavese donna au sujet de Calvino dans la préface au Sentier des nids d’araignée, soit « lo scoiattolo della penna », ne fait point référence au fait que Calvino monte sur les arbres pour s’y isoler.

Pas du tout, je l’ai juste utilisée comme synonyme de « Calvino ». Je pense par ailleurs que Pavese avait raison, l’écureuil évoque certaines des caractéristiques de Calvino, comme la vitesse, la rapidité, l’habilité à monter et descendre…

…dans la forêt des mots. Et de cette période parisienne, dans ton livre tu n’abordes pas seulement les amitiés, les œuvres en cours, l’expérience centrale de l’Oulipo, mais aussi une question politique incontournable. En mai 68, Calvino était bien à Paris, tout comme Alba de Céspedes qui avait dédicacé une copie de son recueil de poèmes Chansons des filles de mai, avec le long poème « 30 mai 1968 », à Calvino, « in ricordo della ‘’grande saison’’ degli studenti parigini » [exemplaire conservé à l’Institut culturel italien de Paris, ndr]. Dans ton essai, tu abordes le sujet de l’engagement, ou plutôt du désengagement de Calvino en cette période, car il s’agit d’une phase bien différente par rapport à la phase précédente de l’insurrection de Budapest. Je me demande s’il n’est pas possible de faire un  rapprochement avec l’expérience oulipienne : dans la note ajoutée à l’édition française du Château des destins croisés en 1976, Calvino fait l’éloge de l’Oulipo en mentionnant la confiance de ses adhérents dans le fait que « il valore poetico possa scaturire da strutture estremamente restrittive », et c’est justement l’absence de structures contraignantes qu’il semble reprocher au mouvement du 68, lorsqu’il dit que l’« Immaginazione al potere era un bello slogan, seducente, dal quale non è saltato fuori assolutamente nulla ». Est-ce que l’Oulipo – cette école de la légèreté mais aussi des contraintes– aurait pu suggérer, pour Calvino, une voie possible pour le renouvellement de la société française ? 

C’est une question difficile. Il est certain que Calvino, en mai 1968, a été pris au dépourvu, surpris voire déstabilisé. Il a affirmé qu’il ne savait pas quoi dire, qu’il ne pouvait que se mettre à la fenêtre et regarder. Dans certaines de ses lettres, il note cette atmosphère exceptionnelle, on perçoit une certaine excitation. Mais enfin il ne comprend pas trop ce qui est en train de se passer, ce qui n’est pas étonnant : c’est un homme né dans la première partie du siècle, qui s’est formé politiquement dans la Résistance, dans le Parti communiste italien des années 50 : il s’agit d’un monde qui est à des années-lumière de ce qu’était Mai 68. De plus, il s’était de plus en plus éloigné de la politique italienne à partir de l’insurrection de Budapest, et le retour du politique dans les années 60 il le prend à contre-pied. Il affirme que la direction de l’anthologie des écrits de Charles Fourier était sa réponse à 68, que le spontanéisme n’était pas la voie à suivre ; une forme de révolte plus structurelle et scientifique correspond à ce que Calvino était devenu. Par rapport à l’Oulipo, c’est sûr que la volonté affichée par 68 au moins dans ses slogans, comme « il est interdit d’interdire », de vouloir faire sauter toutes les contraintes, les règles et les structures, pour lui qui avait apprécié le structuralisme et l’Oulipo, était évidemment à l’opposé de ce qu’il pensait et était devenu. Après, c’est difficile de dire si le projet de l’Oulipo aurait pu faire en sorte que les contraintes puissent amener à plus de liberté et puissent devenir un sujet politique. 

Et par ailleurs c’est drôle si on pense que l’un de ses premiers rapports avec le sol français, c’est quand la France lui a interdit pour quelques années d’entrer dans le pays en raison de sa participation au congrès des Partisans de la paix de Paris en 1949 ! Mais jusqu’à maintenant, nous n’avons parlé que de Calvino, alors que ton parcours, et ton profil d’ « entre-deux » depuis la fin des années 80, n’est pas moins intéressant. Je me demande jusqu’à quel point – avec la redéfinition de l’Union européenne (et l’entrée en vigueur de la monnaie unique, qui aurait peut-être permis à Calvino de rester à Paris plutôt que re-déménager en Italie en raison de la dévaluation de la lira !) et Internet – les relations culturelles et les échanges littéraires entre les deux pays ont changé. Est-ce que, par exemple, Paris exerce aujourd’hui la même attraction pour les auteurs italiens ?

Les auteurs italiens pensent toujours que la culture est à Paris. Mais même si la plupart de la culture française reste concentrée à Paris, depuis 20 ou 30 ans la France enregistre un important mouvement de décentralisation, d’abord administrative et puis culturelle. De grandes institutions sont nées ailleurs, par exemple le Mucem à Marseille. Alors que dans les années 50-60 Paris était incontestablement la capitale mondiale de la culture, peut-être avec New York pour le côté artistique, aujourd’hui on ne peut plus dire la même chose, Paris n’est qu’une des capitales culturelles du monde. Et les Français sont les premiers à le percevoir. Par contre, aujourd’hui, il est plus simple d’avoir des échanges, par effet de la mondialisation, des technologies… Quand je suis arrivé dans les années 90, on envoyait les articles via fax, parfois on les dictait par téléphone. Les Calvino d’aujourd’hui qui seraient à Paris seraient davantage en contact avec la culture italienne mais surtout avec toutes les cultures du monde, ils auraient la possibilité d’interagir avec d’autres centres de culture. Cela change la production artistique et créative de chacun, tout en relativisant la position culturelle de Paris. 

Du reste, toi et Calvino avez au moins un autre point en commun : l’Institut culturel italien de Paris. Dans ton livre, tu évoques un projet d’exposition avec Renzo Piano et Umberto Eco… 

C’est Renzo Piano qui me l’a raconté. Je pense que c’est l’Institut culturel italien qui avait fait cette demande, mais cela n’a finalement pas abouti. Calvino, du reste, fréquentait de temps en temps l’Institut. Il reste trace de deux ou trois de ses interventions, autour de la traduction en français des poèmes de Pavese, du fascisme avec Moravia. Peut-être qu’il y en a eu d’autres.

 Et d’ailleurs, c’est un autre directeur de l’IIC de Paris, le grand sémiologue Paolo Fabbri, qui avait donné à Calvino l’idée d’utiliser les tarots comme prétexte narratif, ce que Calvino fera avec le Château des destins croisés. Se sont-ils connus à Paris ?

Je ne sais pas où ils se sont connus précisément. Ils se sont sûrement croisés au colloque d’Urbino en 1968, lorsque Calvino est venu écouter l’intervention de Fabbri. En tout cas ils étaient très amis, Fabbri était sa porte d’entrée dans le monde du structuralisme, et Calvino a toujours reconnu que l’idée d’utiliser les tarots venait de son ami. 

Comme tu l’as bien montré dans ton livre, Calvino avait essayé, avec une certaine frustration, de faire connaître en Italie le philosophe utopiste Charles Fourier [1772-1837], car « volev[a] che questo mondo entrasse nel circuito delle idee italiane, nel patrimonio di suggestioni che stanno dietro alla politica come alla letteratura ». La critique italienne ne fut pas très à l’écoute. Quel auteur, ou quelle idée « urgente », peu exploitée en Italie, aimerais-tu pour ainsi dire exporter en Italie, et contribuer à diffuser ?

Je ne pense pas qu’il y ait des écrivains ou des essayistes français majeurs qui ne sont pas diffusés en Italie, car l’Italie suit assez bien l’actualité éditoriale française, même si certains noms mériteraient d’être mieux connus, comme Patrick Boucheron ou Cynthia Fleury. Il y a quelques années, je t’aurais dit Pierre Michon, car il me paraissait étrange qu’il ne soit pas traduit en italien, mais maintenant il est traduit par Adelphi. De même, récemment j’ai lu un roman très intéressant de Gaspard KoenigHummus, mais je suis sûr qu’il va être traduit tôt ou tard. Dans le passé, je faisais le jeu inverse : Alessandro Baricco n’a pas été traduit tout de suite en français, et quand on me posait la même question pour la France, je citais tout de suite son nom. Si on ne considère pas un auteur précis, je dirais qu’en France, il y a une très intéressante réflexion en cours autour du lien entre capitalisme et écologie, de l’éco-politique, car il y a encore de grandes institutions où on produit de la pensée critique dans la plus pure tradition française.

Et on devra attendre combien de temps pour la traduction française de « Lo Scoiattolo sulla Senna » ?

Il faut d’abord trouver un éditeur ! Martin Rueff a déjà traduit un chapitre qui paraîtra dans le numéro du Cahier de l’Hernedédié à Calvino, à paraître en 2024. On attend des réponses…

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