Par Laura Paoletti
Illustration de Resli Tale
J’ai tourné autour de la question, j’ai essayé, je me suis renseignée au-delà de ce que je connaissais déjà (qui n’est jamais suffisant).
Puis, rien.
À un moment donné il faut baisser les bras, il faut se rendre.
Parler de Pavese et tenter de ne pas parler de son rapport malheureux à la vie, de sa mort, c’est pratiquement impossible.
J’aurais pu aborder la question vite fait, c’est vrai.
Faire une parenthèse lapidaire dans laquelle j’aurais juste écrit le fait, comme si celui-ci ne contenait pas le signifié.
Mais le fait, dans ce cas, tient bien serré le signifié, il en devient presque le symbole. De la vie de Pavese, de son œuvre tout entière.
Illustration de Manuele Fior
Né à Santo Stefano Belbo, en 1908, dans une famille d’origine bourgeoise, il déménage à Turin avec ses parents, encore petit ; son père mourra peu de temps après. Il fréquente le lycée D’Azeglio, puis sa mère meurt, elle aussi. Il obtient sa licence en littérature américaine dont il est tombé sous le charme ; il étudie Walt Withman, il traduit Melville ; n’ayant jamais eu un chez-soi, il vivra, par intermittence, chez sa sœur. Pavese a formulé, tout au long de sa vie, trois demandes en mariage à trois femmes, la réponse a toujours été la même : non.
Il a travaillé pour Einuadi et côtoyé les antifascistes de l’époque. Comme les plus importants écrivains étrangers et italiens, il a gagné le Prix Strega en 1950.
Obsédé par le rapport aux origines et à la terre, il rêvait d’un passé et d’une enfance différents (à la campagne, dans une famille plus modeste…) de ceux vécus.
Tourmenté par ses histoires d’amour et par la peur – presque terreur – que les femmes lui inspiraient, il n’a tout de même jamais arrêté de chercher « sa femme », celle qui enfin aurait dit oui.
Vivant dans la culpabilité permanente de ne pas être capable de s’immerger vraiment dans le flux de la vie politique et sociale, il s’en tenait parfois volontairement à l’écart.
Il y avait peut-être, chez Pavese, une dimension de vie qui se confondait avec une autre ; pour après sublimer tout ça dans une réflexion constante et dans une écriture purifiée, lyrique, mais extrêmement propre.
Un langage limé de tout accessoire et surplus, recherché, structuré, réfléchi au possible.
En cherchant à créer un écho par les images et les mots et puis à relier tout ça au réel.
Pour enfin essayer d’unir « la richesse d’expérience du réalisme et la profondeur des sens du symbolisme ». (Le Métier de vivre – Il Mestiere di vivere, Torino, 1939 ).
Pavese n’utilisait pas de métaphores, il faisait résonner les mots communs, d’un lyrisme qui leur était propre ; il en faisait des symboles.
Puis il a récupéré la langue du dialecte, en la modifiant : il l’a exposée au danger d’être confondue avec la langue des classiques.
Il a aussi créé des mots, des termes, une façon de faire se rejoindre ces deux mondes, le populaire et le poétique – si éloignés au départ – dans le même contexte littéraire.
Il détestait la simple chronique, il a alors créé des mythes, tout en racontant de « simples » histoires.
De façon ouverte dans Dialogues avec Leuco (Dialoghi con Leucò), de manière transposée dans Le bel été (La bella estate), La lune et les feux (La luna e i falò).
Les thèmes chers à Pavese sont là : les origines comme symbole d’une rénovation, l’adolescence et le passage à l’âge adulte, le contexte de la campagne et des classes sociales plus pauvres, la violence, la passion de l’amour qui ne se consume jamais vraiment.
Il a aussi écrit des essais : La letteratura Americana e altri saggi et Le métier de vivre (Il mestiere di vivere) écrit pendant son exil à Brancaleon Calabro.
Puis des poèmes : le recueil Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux (Lavorare stanca) un court poème dans lequel on retrouve, condensé en peu des phrases, son lyrisme comme son malheur de vivre.
Et alors, comme je le disais, à un moment donné il faut baisser les bras, il faut se rendre.
Cesare Pavese est mort, suicidé, la nuit du 27 août 1950 dans un hôtel à Turin ; il avait 42 ans.
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