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Conversation avec Flavia Lucidi, libraire à L’accent qui chante de Chambéry

Par Fabiola Viani

« Une librairie franco-italienne, mais pas que… ! »

Depuis l’automne 2021, dans un joli quartier de Chambéry, une nouvelle librairie franco-italienne a ouvert ses portes : L’accent qui chante, qui porte bien son nom !

Dans un espace « azzurro » comme le ciel d’Italie, on découvre dans une série de pièces en enfilade une large sélection de livres en français et en italien, une épicerie fine pour agrémenter les lectures de bons produits italiens, des articles de papeterie et des idées cadeaux, rigoureusement écologiques et souvent fabriqués de manière artisanale.

Bonjour Flavia, comment vous est venue l’idée d’ouvrir une librairie franco-italienne ?

C’est l’aboutissement d’un projet né d’une reconversion professionnelle. Après des études en Lettres et en Histoire effectuées à Rome et à Paris, j’ai travaillé pendant quelques années entre Paris et Lyon pour des organismes publics et privés œuvrant dans le développement local et la coopération européenne. Les changements liés à ma vie familiale, et notamment l’arrivée de mon premier enfant, m’ont amenée à me remettre en question et à réfléchir sur un projet plus personnel qui donnerait du sens et « justifierait », en quelque sorte, mon choix de vivre en France. Ma passion pour la littérature et l’écriture m’ont poussée à intégrer une formation en création et reprise de librairie, que j’ai complétée en effectuant un stage auprès de La Libreria (Paris), tenue par les sympathiques Florence et Andrea. Enfin, les nombreux échanges avec d’une part mes professeurs et collègues de formation et différents acteurs du livre en région Auvergne Rhône-Alpes, m’ont ouvert les clés du métier et permis de franchir le pas de la création.

« Une librairie vivante et vibrante aux couleurs d’Italie mais grande ouverte sur le monde ! » Quelle identité as-tu voulu pour L’accent qui chante, librairie indépendante ?

L’accent qui chante se veut une librairie généraliste de quartier, avec la spécificité de proposer une large offre de livres d’auteurs italiens, en langue originale ou en version traduite. Si la littérature italienne était pour moi une évidence par mes origines, j’ai souhaité que la littérature française et du monde soient également présentes afin d’ouvrir mes horizons et créer des passerelles entre différentes cultures. Ainsi, j’aime parfois « jouer » avec les livres et proposer des livres-binômes traitant de la même thématique ou ayant des points en commun. J’ai constitué mon stock de départ en me basant sur mes goûts et mes intérêts, plus que sur les statistiques de vente. La littérature générale est prédominante, mais je propose également des essais, des bandes dessinées, des romans graphiques, de la littérature jeunesse, etc. J’organise des rencontres d’auteurs et d’autres événements, dont un club de lecture, « Sinergie letterarie », entièrement dédié à la littérature italienne, qui est particulièrement appréciée par les lecteurs italophones et italophiles. Le principe est simple : chacun lit le même livre et l’on se retrouve tous les premiers mardis du mois pour en discuter à la librairie (ou à l’extérieur, si les circonstances le permettent). Pas d’animateur. On laisse chaque personne s’exprimer à son tour et seulement après on parle à bâtons rompus.

« Dix ans de vie stable en France nous permettent aujourd’hui de lire Proust et Flaubert en langue originale. Pourtant l’accent est toujours là, comme le dit en toutes lettres l’enseigne. L’italien est notre langue de cœur ; le français nous l’aimons également, beaucoup, passionnément. »

Quel est l’intérêt de la part des lecteurs français envers la littérature italienne ?

L’intérêt est très fort : nous sommes installés en Savoie, dans une région proche de l’Italie, qui partage son héritage historique et culturel avec le Piémont. Beaucoup de personnes ont des origines italiennes qu’ils veulent valoriser et cultiver, même s’ils ne parlent pas forcément italien. L’Italie reste pour la plupart un pays « inspirant » pour son savoir-vivre et son savoir-faire. Les livres deviennent ainsi un formidable moyen pour voyager et découvrir aussi l’Italie d’aujourd’hui, au-delà des clichés. En parlant de voyage, je remarque chez mes clients un engouement particulier pour les livres/auteurs incarnant les différentes identités régionales italiennes. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’associer des livres à des produits d’épicerie : le mélange au départ me paraissait audacieux puis je me suis laissée porter par mon instinct et mon amour de la bonne table !

As-tu reçu un bon accueil des acteurs de la vie culturelle de Chambéry : les associations, les écoles, les festivals ?

Oui absolument, beaucoup de bienveillance et d’ouverture. Je ne suis pas originaire de la région et je ne connaissais pas son « écosystème ». J’ai voulu faire les choses sur la pointe des pieds pour trouver ma place et être complémentaire de ceux qui étaient là bien avant mon arrivée. Les associations italiennes m’ont accueillie à bras ouverts, mais aussi les écoles, l’université de Savoie Mont Blanc, l’association Lectures Plurielles et les autres commerçants de la ville.

La crise liée à la pandémie de Covid-19 a mis en lumière les librairies comme des acteurs essentiels de la culture. Alors que l’on pouvait s’attendre à une augmentation significative des ventes de livres audio et numériques, ce phénomène ne s’est pas produit en France. Comment vois-tu l’avenir des librairies indépendantes ?

Je n’aime pas me définir par opposition aux autres (les grandes surfaces, les chaînes de libraires, les plateformes de vente en ligne, etc.). J’estime que tout peut être utile du moment qu’il répond à un besoin. C’est tout à fait normal et positif d’avoir le choix entre plusieurs modes d’achat ; néanmoins, nous devons continuer de défendre les librairies indépendantes car elles représentent une énorme richesse pour les citoyens, les centres-villes et tous les acteurs de la chaîne du livre. En France les librairies indépendantes peuvent encore compter sur des lois qui les protègent et sur la fidélité de leurs publics ; pour autant, leur économie est extrêmement fragile, notamment en période d’inflation et de crise économique.

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