La Distraction de Dieu d’Alessio Cuffaro
Une recherche de l’authenticité qui se déroule au travers d’une incessante imposture.
Quelle forme donnerais-tu à ta vie si tu pouvais vivre celle d’un autre ?
Écrit avec élégance et intensité, La Distraction de Dieu répond à cette question à travers une histoire passionnante, attirante et à même de faire voyager le lecteur à l’intérieur d’un siècle, le vingtième, et parallèlement à l’intérieur de nombreuses vies qui, au fond, n’en sont qu’une seule. Avec cette première œuvre originale, intense et captivante, Cuffaro trouve la parfaite mesure entre invention et approfondissement psychologique, en publiant un roman d’une rare force et profondeur.
Voici l’incipit du roman :
La sienne était une famille fondée sur les « peut-être ». Peut-être le père menuisier livrerait-il à temps le buffet à son client pour la réception ; peut-être Rachele, la mère, aurait-elle préféré mettre au monde deux filles plutôt que ces deux délinquants qui avaient précédé l’arrivée de Francesco ; peut-être disposeraient-ils bientôt de quelque pécule si les « Turinois », les riches, continuaient à se servir chez eux ; peut-être le toit de leur masure tiendrait-il encore quelques hivers avant de s’effondrer sur leurs têtes. Peut-être. Dès l’enfance, par contre, Francesco n’avait eu en tête que les « jamais » ou les « toujours ». Il n’arrivait pas à accepter l’incertitude qui l’entourait. Il voulait découvrir le fonctionnement des choses. De toutes les choses. Et une réponse évasive ne suffisait pas à l’apaiser. Découvrir le comment, le quand et le pourquoi des choses le tranquillisait. Parce que dès lors il les aurait soustraites à la domination des peut-être pour les consigner dans le périmètre rassurant des toujours et des jamais.
Le père se faisait aider à l’atelier par ses deux premiers garçons : au registre d’état civil, Marcello et Arturo ; pour leur mère, Peste et Corna [1]. Même si jamais personne n’avait clairement distingué lequel des deux était Peste et lequel était Corna.
Francesco était encore petit, mais il était déjà très dégourdi. De toute façon il finirait à l’atelier comme eux, alors autant valait l’habituer tout de suite. Ce fut ainsi qu’au fil des ans il apprit à distinguer les bois durs, bons pour les structures, des tendres, appropriés pour les moulures. Il découvrit que le chapeau devait être mis sur la tête chaque fois qu’arrivait un monsieurleclient (il fallut ensuite le coup de baguette du maître sur ses doigts pour qu’il comprenne que « monsieur » et « client » étaient deux mots distincts) et l’enlever dès qu’il était parti. Il apprit que du bois on ne jetait jamais rien. La sciure pour ne pas glisser. Les copeaux pour allumer le feu. Les petits bouts résiduels pour les cales sous les chaises bancales. Il apprit qu’il fallait toujours contrôler les lames des outils avant d’ouvrir l’atelier le matin parce que les dents tordues déchiquetaient le bois. Et puis qu’il fallait une centaine de clous, cinq litres de vernis et deux de Barbera[2] pour faire tourner un atelier chaque jour.
Antonio avait recours à la bouteille de Barbera quand il ouvrait le matin, quand il allait acheter le bois, quand il fallait charger sur la carriole un meuble trop lourd, quand il déchargeait le bois, quand deux morceaux refusaient de s’emboîter, quand il négociait un prix avec un client, quand passait une femme avec un beau cul devant l’atelier, quand il fermait le soir. Il buvait tout le temps.
Souvent il envoyait des coups de pied à Peste et Corna pour une raison que seul le vin pouvait connaître dans sa tête. Mais il ne levait jamais la main sur Francesco. Il le fixait souvent. Mais toujours de loin. Il ne le touchait jamais. Comme si Francesco était l’un de ces outils avec lequel on risquait d’y laisser un doigt en le touchant par mégarde.
« Tu es sûre que Francesco est de moi ?, avait demandé une nuit Antonio à sa femme, tandis qu’il la prenait.
– Et de qui il serait, sinon ?
– Dis-le-moi, toi.
– Mais pourquoi ça serait pas le tien ? »
– Il est différent. Il est toujours sérieux. Et puis il est intelligent. »
– Antonio, bien sûr que c’est le tien. Même s’il est intelligent. Allez dépêche-toi et gare à toi si tu ne sors pas à temps. C’est ton fils. Mais bon, il vaudrait mieux pour nous que ce soit le dernier ! »
[1] Peste et Cornes.
[2] Vin rouge du Piemont.
Traduction de Catherine Guelton.
Alessio Cuffaro est né à Palerme en 1975. Il a étudié à la Scuola Holden où il enseigne maintenant. Il vit et travaille à Turin. Il a écrit des récits pour Linea d’ombra, Pulp et il est l’auteur de trois courts contes publiés dans l’anthologie 100 storie per quando è veramente troppo tardi (Feltrinelli, 2013).
Il vient d’être sélectionné pour le POP (Prix de la Première Œuvre) et pour le Prix Augusta.
La Distraction de Dieu est son premier roman.
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