Les filles de Sanfrediano, de Vasco Pratolini
Par Roberta Taverna
« Tu mi fai girar, tu mi fai girar come fossi una bambola. Poi mi butti giù, poi mi butti giù come fossi una bambola… ».
S’il n’existait pas un décalage temporel de dix-neuf ans, on pourrait affirmer que Vasco Pratolini a chanté la célèbre chanson de Patty Pravo pendant la rédaction de Les filles de Sanfrediano (Le ragazze di Sanfrediano). Et si l’on voulait aller plus loin dans ce lien anachronique (le roman a été publié en 1949, tandis que la chanson a été enregistrée en 1968), on pourrait dire que devant le microphone, il y avait bien cinq filles : Silvana, Mafalda, Gina, Bice et Tosca, les filles du village de Sanfrediano. Et le refrain serait dédié à Bob, un jeune tombeur de femmes par plaisanterie, fanfaron, le rêve interdit de toutes les filles du village.
Mais qui est réellement Bob ? Et pourquoi toutes les filles tombent-elles amoureuses de lui ?
Bob est l’amant parfait : un grand flatteur, au regard enchanteur et à la voix malicieuse. Bob incarne le côté interdit de la liaison clandestine, le frisson de l’attente, le compliment romantique saisi dans la nuit. Jusqu’à quel point est-il réel ? Très peu, car ce jeune homme, qui s’appelle Aldo, selon l’état civil, n’est qu’une étude soignée du personnage, un acteur de série avant la lettre, qui s’amuse à occuper ses journées entre un baiser volé et une caresse fuyante, entre une adulation et un jeu de regards.
Il aimait toujours la femme qui était avec lui, et il n’y avait qu’elle au moment où il la caressait, mais comme sa journée était parsemée de ces instants exclusifs et toujours différents, Bob s’estimait désormais pourvu d’une telle quantité d’affection, qu’une seule femme n’aurait pas été capable de l’épuiser.
Pourtant – comme une fille du Piper le chantera vingt ans plus tard – même les filles de Sanfrediano, une fois découverte la vraie nature du séducteur toscan, ne lui permettront plus de les traiter comme des poupées ayant cessé de plaire et sortiront leurs griffes pour regagner leur dignité et leur amour-propre volé.
Vasco Pratolini envoûte le lecteur par le biais d’une prose enrichie par le dialecte florentin, en racontant une histoire qui parut aussi simple que révolutionnaire au moment de sa publication : dans la nouvelle Italie d’après-guerre, il n’y a plus de place pour la discrimination sexuelle. Les femmes acquièrent la même valeur que les hommes et parfois, comme ici, il s’avère qu’elles sont meilleures, plus loyales, déterminées, authentiques. Pour le meilleur et pour le pire.
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