Petits moments de bonheur volés, de Francesco Piccolo
Par Cinzia Dezi
Francesco Piccolo est non seulement un écrivain très connu en Italie, car il a gagné le Prix Strega (équivalent du Goncourt français) en 2014 avec son roman Il desiderio di essere come tutti, publié par Einaudi, mais il est aussi le scénariste de films ayant connu un grand succès, parmi lesquels on peut citer Le Caïman, réalisé par Nanni Moretti, qui raconte l’histoire de Silvio Berlusconi et qui a été en compétition officielle pour le Festival de Cannes en 2006.
Le livre dont l’on veut parler ici est Momenti di trascurabile felicità, sorti en 2010 chez Einaudi et traduit en français par Anaïs Bokobza, publié d’abord aux éditions Denoël en 2014, puis, à partir de 2015, sorti aux éditions Points, avec le titre Petits moments de bonheur volés.
Justement, j’aimerais m’arrêter un instant sur la traduction du titre, car littéralement moi je l’aurais traduit ainsi : « Moments de bonheur négligeable ». Ma traduction est sans doute moins efficace pour vendre le bouquin que celle d’Anaïs Bokobza, mais, en la lisant, je crois que l’on peut immédiatement avoir un sursaut : comment le bonheur peut-il être négligeable ? Spécialement dans une société qui veut nous contraindre à être heureux à tout prix, en nous proposant de suivre mille chemins pour le devenir, si on ne l’est pas : partout, l’on trouve des gourous disposés à nous indiquer la voie du bonheur et des livres qui nous suggèrent comment il faut vivre pour atteindre ce but.
Francesco Piccolo, au lieu de nous donner des conseils, nous décrit ces petits moments qui illuminent notre vie pour un instant, en nous éblouissant. Et c’est bien sur cet instant que Piccolo s’arrête. Quand cela nous arrive-t-il ? Pour vous donner quelques exemples : quand l’on décide de ne pas partir en vacances au mois d’aout pour profiter de la ville vide ; quand, au contraire, on part en congés et alors qu’on vient juste d’arriver en Sardaigne, on tombe de moto et on ne peut pas se baigner, alors on commence à lire Don Quichotte et l’on se trouve complètement envouté par le récit ; quand après avoir connu une personne qui n’était pas attrayante, elle nous apparaît belle, tout à coup.
Mais l’auteur ne se concentre pas seulement sur ces « gentils » petits moments de bonheur privé, il nous fournit aussi un catalogue de méchancetés minuscules, parfois un peu sadiques, dans lesquels on se reconnaît de la même façon, et définit « les choses qu’il aime, mais qu’il ne devrait pas aimer » : par exemple, quand deux automobilistes descendent de leurs véhicules et se battent sauvagement dans la rue ; quand il gare sa voiture en double file pour aller boire un café dans un bar ; quand il y a quelqu’un à qui il faudrait donner sa place dans le bus, mais qu’il tourne avec obstination son visage vers la fenêtre pour garder sa place.
Laissons parler l’auteur avec ses propres mots :
J’emploie très souvent « en effet » parce que c’est le mot que prononcent mes cordes vocales, de façon tout à fait autonome, quand je suis gêné.
Même quand quelqu’un me dit : « J’ai lu ton livre, c’est un chef-d’œuvre. »
En effet, dis-je. Parce que je ne sais pas quoi dire. Et je me rends compte que je confirme que c’est un chef-d’œuvre, mais je n’arrive pas à dire autre chose, même si je pense : il ne faut pas que je dise en effet.
« J’ai lu ton livre, il est vraiment nul. »
En effet, dis-je. Et je me rends compte que je dis que moi aussi je trouve mon livre nul.
Une fois, j’ai dit en effet quand une femme m’a dit : je t’aime.
Le résultat, c’est un petit livre amusant et touchant à la fois, qu’on lit en se demandant si ce ne sont pas ces instants de bonheur volés ou de bonheur négligeable qui font le vrai bonheur du quotidien.
PICCOLO, Francesco, Momenti di trascurabile felicità, Einaudi, 2010, p. 134.
Édition française :
PICCOLO, Francesco, Petits moments de bonheur volés, éditions Points, 2015, p. 144.
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