La più amata, de Teresa Ciabatti

Un récit autobiographique dans lequel la vie réelle d’une famille bourgeoise italienne se mêle avec l’imagination d’une écrivaine habile mais surtout proie d’une obsession : la figure du père.

Par Ombretta Brondino

La più amata, teresa Ciabatti - La Bibliothèque italienneLire le roman de Teresa Ciabatti La più amata, placé en deuxième position au Prix Strega 2017, interroge sur la question de la limite entre la vie réelle, la fiction de l’histoire et l’histoire de notre pays. Il s’agit d’un récit autobiographique dans lequel les épisodes de la vie réelle d’une famille bourgeoise italienne se mêlent constamment avec l’imagination débordante d’une écrivaine habile, mais surtout en proie à une obsession pour la figure du père.

À ce propos, Teresa Ciabatti dit, sans censure aucune à la page 33 de son roman, que la finalité de cette œuvre a été de mieux comprendre qui a « vraiment » été son père, le grand Professeur Lorenzo Ciabatti à cause duquel elle est devenue une femme « dépourvue de sentiments, instable, égoïste, méfiante, obsédée par son passée ». Mais malgré cette introduction, le premier rôle de toute cette affaire de famille est incontestablement joué par elle : Thérèse, la « reine », comme elle se définit elle-même.

Au cours des premiers chapitres on fait connaissance avec une petite fille de sept ans qui grandit à travers l’amour absolu d’un père tout-puissant, médecin-chef de l’hôpital d’Orbetello, qui peu à peu à travers le flux des pages devient le « maçon, athée, avare, fasciste » qui fit d’elle une adolescente grosse, furieuse, gâtée, et plus tard une femme irrémédiablement triste et non résolue. On accompagne Thérèse pendant son existence fictive faite de richesse et de faux privilèges, de larmes exagérées et d’épisodes à la limite du réel, et la question que l’on se pose en permanence pendant la lecture est « mais elle a vraiment vécu ça ? ». Ce mélange fait de réalité et d’irréalité amène le lecteur à s’identifier à la petite fille souffrante, mais aussi à la détester et à prendre ses distances avec elle. Thérèse fait un portrait impitoyable d’elle-même et des membres de cette famille que je qualifierais, sans aucun doute, de dysfonctionnelle.

La figure que j’ai le plus aimée est sans doute celle de la mère Francesca Fabiani, une femme médecin belle, libre et révolutionnaire dans sa jeunesse, mais qui après être tombée amoureuse de Lorenzo Ciabatti amorce une mutation qui la conduira presque à la ruine. Cette femme « aux très belles jambes » sera victime de toutes ces actions présumées, mais presque jamais explicites (les trahisons, un enlèvement, une cure de sommeil qui l’entrave dans l’exercice de son rôle maternel pendant une année entière, et ainsi tout de suite, la ruine financière) dont Il est toujours l’auteur principale. Peu à peu, surtout après la naissance de ses enfants, Thérèse et son frère Gianni, la flamme vive de cette femme s’éteint et sa fragilité congénitale nous fait entrevoir la vérité d’un amour qui n’en est plus un, d’une passion pour la médecine qui s’affaiblit jusqu’à mourir, d’un attachement aux enfants irrégulier et discontinu, comme pour souligner la force destructive de cet homme qui, depuis le début, a quelque chose à cacher. Trop de richesse, trop de formalités sociales et de liens ambigus avec des personnalités tout aussi équivoques (Licio Gelli en tête) de l’histoire italienne du début des années soixante-dix, ont contribué à créer un personnage nébuleux, qui, combiné à la reconstruction presque analytique des faits familiaux, a probablement fait le succès du livre.

La langue utilisée par Teresa Ciabatti est très simple et j’oserais dire peu littéraire, mais elle correspond à sa volonté de découverte et de remise en ordre d’un passé embrouillé et confus.

Pendant la Salon du livre de Turin, j’ai assisté à la présentation du roman. J’ai écouté Teresa Ciabatti et je me suis tout de suite rendu compte que, pour elle, parler de son roman c’était comme parler de soi au point qu’à un certain point je ne savais plus si la voix que j’entendais était celle de la romancière ou celle de Teresa, la petite fille et puis la femme que j’avais appris à connaître pendant ma lecture. À ce moment-là, le livre n’avait encore rien gagné, mais j’ai reconnu sans aucun doute dans la voix et l’expression de cette femme le caractère et la force des vainqueurs. À cette occasion, elle a confirmé que sa vie durant elle n’avait jamais rien gagné et que son parcours littéraire n’avait pas été facile, comme tout dans sa vie, mais que la plus grande victoire, après la naissance de sa fille, avait été d’écrire cette histoire et de se libérer ainsi d’une obsession qui l’a enchaînée pendant plus de quarante ans. « Certains points obscurs de la vie de mon père, a-t-elle dit, sont encore là, mais le fait d’avoir affronté le monstre et de l’avoir regardé bien en face m’a vraiment permis de tourner la page. »

Alors au-delà des critiques, et Teresa Ciabatti en a reçu de merveilleuses et des méchantes en même temps, j’exprime mon profond respect et ma gratitude à cette femme « devenue romancière par obstination » qui a eu le courage de montrer une vérité qui dérange et guérit en même temps parce que, comme je l’ai entendue dire, « la vérité n’est que ce qu’on perçoit ».

CIABATTI, Teresa, La più amata, Mondadori libri Spa, Milano, 2017, 218 p.

 

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