Emilio Salgari fait encore rêver de Sandokan
Par Antonio Carioti
Des générations entières de jeunes Italiens ont rêvé en lisant les romans d’Emilio Salgari, qui les transportaient magiquement dans l’Océan Pacifique, la jungle du Bengale, les îles des Caraïbes, les forêts du Vénézuéla, les prairies du Far West, en Afrique ou en Chine.
Pourtant, l’écrivain – né à Vérone le 21 août 1862 – ne fut certes ni un routard ni un vieux loup de mer. Cependant, son imagination était démesurée, ainsi que ses qualités de narrateur. En plus, il était curieux, il s’appuyait largement sur les encyclopédies et sur les revues les plus variées.
Ce n’est certainement pas la rigueur de la reconstruction qui frappe chez Salgari. Ce qui compte plutôt, c’est la caractérisation vive de ses personnages, qui envahissent l’imaginaire du lecteur : Sandokan, Yanez, Kammamuri, Suyodhana, Teotokris, le Corsaro Nero, Wan Guld, Carmaux et Wan Stiller – il semble qu’ils soient devant nous, avec leurs vêtements grossiers ou élimés, avec leurs armes toujours meurtrières. Ce n’est pas un hasard s’ils ont inspiré les œuvres réussies de certains illustrateurs, à commencer par Giuseppe Gamba, dit « Pipein ». Mais le véritable secret des histoires rocambolesques de Salgari est leur valeur émotive, puisqu’elles sont toujours caractérisées par des passions intenses : amour, haine, amitié fraternelle, le plaisir de montrer sa valeur, la camaraderie des combattants, le sens de l’honneur, le désir de vengeance.
Tout en se plaçant dans le sillage d’auteurs d’aventures bien connus – tels qu’Alexandre Dumas père, Walter Scott, Jules Verne, Robert Louis Stevenson –, Salgari montre pourtant des caractéristiques spécifiques, qui le firent se brouiller avec les bien-pensants de l’époque. Au-delà de la violence, des combats continuels par mer et par voie de terre, son écriture implique une dose troublante d’érotisme voilé. Aussi bien dans la description des personnages féminins – souvent très sensuels – que dans la manière de façonner ses héros – pour la plupart dotés d’un fort magnétisme –, le romancier de Vérone transmet des messages transgressifs, accentués par sa prédilection pour les amours métisses.
Il faut ajouter à cela que, dans les romans de Salgari, les conquérants européens qui ont le plus de succès – les maîtres de grands domaines territoriaux et maritimes – jouent souvent le rôle de méchants.
Bien qu’il ait reçu, en 1897, sur proposition de la reine Marguerite de Savoie, le titre de chevalier, Salgari ne fut jamais pris en considération dans les milieux littéraires. Il était considéré comme un écrivain de deuxième catégorie, qui était relégué à la littérature de jeunesse, même si son public comptait des lecteurs passionnés de tout âge. Pourtant, le temps rend justice et l’œuvre de Salgari – loin d’être oubliée – s’est avérée d’une longévité remarquable : il suffit de penser au grand nombre d’adaptations cinématographiques qui lui ont été consacrées, ou encore, à la bande dessinée Sandokan de Mino Milani et Hugo Pratt.
Enfin, il suffit de jeter un coup d’œil au site très bien documenté www.emiliosalgari.it pour vérifier que les aventures du Corsaro Nero et de ses autres créatures sont non seulement réimprimées constamment, mais qu’elles inspirent aussi des recherches très variées.
Cet article est disponible en version originale sur le site Corriere della Sera
Ttraduction de Marta Somazzi
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