L’Éthique de l’aquarium, d’Ilaria Gaspari

L’Ethique de l’aquarium, le roman noir sur la vie au sein de la prestigieuse Université Normale de Pise, de Ilaria Gaspari.

Par Laura Paoletti

L’Éthique de l’aquarium (Etica dell’acquario), publié en français par Les Editions de Grenelle, est le premier roman de l’autrice Ilaria Gaspari.

L’intérêt que ce roman noir a suscité auprès de la critique italienne est justifié par une écriture qui suit un fil clair et précis : elle se développe sans faute à travers des souvenirs qui s’enchaînent par des descriptions fortes et captivantes.

On y voit Gaia, une jeune femme, protagoniste et voix du roman, qui nous raconte et se raconte.

La narration creuse dans les années passées, les années de l’université : on découvre petit à petit tout l’univers qui a fait de Gaia ce qu’elle est, une femme souffrante, perdue dans l’attente et l’idéalisation de son premier grand amour.

Elle doit se rendre à Pise, la ville où elle a fait ses études ; là, Gaia rencontre à nouveau ses amis de l’époque et Marcello, l’homme qu’elle a abandonné et, en même temps, jamais oublié.

Fuyant son passé, Gaia est obligée, à cause d’une enquête de la police, de revenir sur ses pas, de redessiner à nouveau le parcours qui l’a conduite dans son présent, fait de cigarettes à la marijuana, d’une fausse couche et d’un divorce, d’un travail dans lequel elle ne trouve pas de satisfaction.

À ce moment-là, tout me parut de nouveau possible. Il me semblait dominer le temps passé et le temps perdu. Nous allions pouvoir vivre ensemble, Marcello et moi. Partir, oublier les dix dernières années. […]

Alors de nouveau je serais celle que j’étais, dans une chambre d’internat, dix ans auparavant, comme dans cette nuit des procès, dans la salle de bains d’une chambre que les bulldozers allaient anéantir si ce n’était déjà fait. […]

Maintenant va-t’en, je veux tout oublier et puis je dois aussi dormir. Oui, maintenant j’ai seulement besoin de dormir et puis je dois essayer de partir d’ici le plus tôt possible. Je le savais que je ne devais pas venir, ici c’est toujours pareil. C’est cette ville, elle me fait mal. Je ne peux pas y rester. »

Dès le début, le lecteur comprend avec Gaia que le premier et unique suspect de l’enquête de la police est la protagoniste elle-même.

etica-dellacquario-ilaria-gaspari-volandC’est le nœud hypnotique de ce récit : Gaia et le lecteur ne font plus qu’un : elle ne sait pas si elle est vraiment la coupable, tout comme le lecteur qui reste sur cette incertitude, avec elle, jusqu’aux toutes dernières pages.

L’accusation est celle d’homicide ou d’incitation au suicide de Virginia, une amie/ennemie de la protagoniste depuis l’université.

Ou plutôt, son alter ego.

 

Les deux femmes souffrent en fait de la même maladie : l’obsession pour le bonheur ou le malheur, le leur ou celui d’autrui.

Et ce sera ce thème qui donnera la force à cette première œuvre de Gaspari de devenir un roman noir de valeur.

L’obsession est ce qui lie le lecteur à l’histoire, et c’est ce sentiment qui fait la loi dans les rapports que les autres personnages entretiennent entre eux (Matteo, un autre ami qui se suicide sous l’emprise d’une relation malsaine).

Mais surtout l’obsession, et la façon obsessionnelle avec laquelle tout cela est raconté, nous plonge dans l’atmosphère de cette université : la Normale de Pise.

Une université prestigieuse qui cache en son sein des perversions ambitieuses rendant les étudiants prisonniers de la situation autant que d’eux-mêmes.

Nous étions alors en deuxième année et n’avions pas plus de vingt ans, mais en vivant comme nous vivions – dans cette sorte de réserve ou de prison, dans cette pépinière académique qui prétendait faire de nous des chercheurs ou nous laisser pour compte, écrasés entre l’isolement progressif du monde et l’impossibilité d’une vraie solitude dans la ruche de l’internat, de la bibliothèque, de la cantine – nos existences avaient le rythme d’une condamnation qui se répétait.

Rarement un roman a si bien porté son titre : L’Éthique de l’aquarium.

Le mot « éthique » nous donne le cadre strict, décidé et préétabli, violent, d’une société ainsi construite (la communauté universitaire) ; le mot « aquarium » nous délivre, tout en évoquant la forme claustrophobe, malsaine (presque putréfiée) de ce contenant plein de « poissons » enfermés.

L’opacité de la vision à travers le verre, l’ambiguïté de ce fluide composé par des eaux troubles.

La narration, répétitive dans la description de ces moments de vie universitaire, de la pression et du népotisme qui règnent, met le lecteur dans cette exigence vitale de s’en sortir enfin, de respirer à nouveau.

Pour et avec la protagoniste.

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