Portrait d’écrivain : Milena Agus
Par Cinzia Dezi

Milena Agus, illustration de Filomena Oppido
Milena Agus est une écrivaine italienne née à Gênes en 1959, mais originaire de Sardaigne, d’où viennent ses parents et où elle-même s’est installée. Elle vit à Cagliari, la capitale de l’île, où elle enseigne l’italien et l’histoire dans un lycée artistique. Paradoxalement, elle a été découverte d’abord par le public français et est devenue célèbre aussi en Italie seulement ensuite. Son grand succès a été le roman Mal de pierres (Mal di pietre) sorti en 2006, avec lequel elle a remporté le prix Relay et le prix des lecteurs du Livre de Poche.
Un film a été tiré du livre : réalisé par Nicole Garcia, avec Marion Cotillard, il a été en compétition officielle au Festival de Cannes en 2016. Maintenant, cette écrivaine, très appréciée par le public français, est traduite dans le monde entier. Mais elle reste vraiment modeste dans sa vie privée et n’aime pas parler de son succès. Ici, on veut quand même lui rendre les honneurs qu’elle mérite, car, avec ses romans, elle nous remplit de joie, la vraie joie de la lecture.
Et cela en particulier avec le dernier livre traduit en français, Sens dessus dessous (Sottosopra) qui est l’histoire du monsieur du dessus et de la dame du dessous. Le premier, Mr Johnson, est un violoniste américain qui s’est installé à Cagliari avec sa femme. Mais comme elle l’a quitté à cause de ses habitudes bizarres (il s’habille avec des chaussettes dépareillées, il a toujours quelque chose de déchiré ou qui ne va pas dans ses vêtements, et il n’éprouve aucun intérêt pour l’argent ni pour son succès en tant que violoniste, en effet il aime mieux se définir comme un joueur de violon que comme un violoniste), comme il a été quitté par sa femme, donc, la dame du dessous tombe amoureuse de lui, dès qu’elle commence à travailler comme femme de ménage dans sa maison. Dans cette histoire pleine de sentiments déchirants, de joie et de tristesse, tout est sens dessus dessous. Pour vous donner un petit aperçu du livre, lisez la description des tentatives de suicide mises en pratique par la mère de la narratrice, devenue folle par amour :
Elle se livrait à une foule de petites dingueries, comme d’essayer de se tuer en imitant des personnages de la littérature qu’elle connaissait bien, elle qui était enseignante. Elle courait donc dans la maison en se tapant la tête contre les murs comme Pierre des Vignes, l’innocent emprisonné par Frédéric II Stupor Mundi dans la Divine Comédie ; ou bien elle allait se jeter dans les canaux d’irrigation comme Ophélie, car maman s’appelle Ofelia, après qu’Hamlet lui a lancé : « Va-t’en dans un couvent, va ! »
Dans les romans de Milena Agus, il y a toujours quelqu’un qui est désespéré par amour, quelqu’un qui est rejeté, quelqu’un qui essaie de se suicider ; et pourtant, grâce à la grâce avec laquelle elle construit ses histoires, on n’a jamais l’impression d’un désespoir total : il y a toujours un personnage qui conserve une petite lumière à apporter aux autres pour les aider à lutter contre les forces douloureuses de la vie. Dans ce cas, c’est Johnson junior, le fils de Mr Johnson, qui recouvre ce rôle. Mais n’en racontons pas trop, pour ne pas vous enlever le plaisir de la découverte.
Dans un petit discours qu’on retrouve publié à la suite de Mal de pierres, traduit en français par Dominique Vittoz, et que Milena Agus a rédigé à l’occasion d’un colloque sur les nouvelles tendances littéraires en Sardaigne qui s’est tenu à Francfort en 2007, l’écrivaine (qui à l’époque n’aimait pas se faire appeler ainsi, préférant être désignée comme « quelqu’un qui écrit », plus modestement) nous donne sa perception de l’écriture.
Elle dit que « l’écriture […] rachète le réel. […] Prenez quelqu’un que personne n’aime, dans la réalité : si vous le transformez en personnage, vous pouvez lui faire recevoir beaucoup d’amour. J’ai écrit sur des gens qui n’avaient ni chance ni amour dans leur vie, en espérant qu’ils en trouvent au moins auprès de mes lecteurs ». Milena Agus affirme se tenir, quand elle écrit, entre le réel et l’invention « comme un funambule ». Son but est celui de faire rire et pleurer le lecteur de ses histoires, car – comme elle le dit – « c’est ainsi que je vois la vie, misérable et merveilleuse ».
J’aimerais conclure avec une autre citation, tirée de ce même discours, dans laquelle elle nous explique en quoi être Sarde donne à l’écriture un caractère particulier :
D’après moi, cela confère un éloignement. La mer, qui nous sépare du Continent, ou de la Terre ferme comme on disait autrefois, justement sépare. Il n’y a rien à faire. Et puis la Sardaigne est magnifique et garde, malgré les horribles villages de vacances et la cohue estivale, un caractère sauvage et mystérieux qui se reflète dans l’écriture, que ce soit celle des écrivains de l’intérieur, depuis Grazia Deledda jusqu’à Salvatore Niffoi, ou celle des écrivains des côtes venteuses, lumineuses, face à la mer infinie.
Bibliographie italienne :
- AGUS, Milena, Mentre dorme il pescecane, Nottetempo, 2005, p. 171.
- AGUS, Milena, Mal di pietre, Nottetempo, 2006, p. 119.
- AGUS, Milena, Perché scrivere, Nottetempo, 2007, p. 20.
- AGUS, Milena, Ali di babbo, Nottetempo, 2008, p. 142.
- AGUS, Milena, La contessa di ricotta, Nottetempo, 2009, p. 127.
- AGUS, Milena, Sottosopra, Nottetempo, 2012, p. 168.
- AGUS, Milena, Terre promesse, Nottetempo, 2017, p. 201.
Bibliographie française :
- AGUS, Milena, Quand le requin dort, traduit par Françoise Brun, Éditions Liana Levi, 2010, p. 160.
- AGUS, Milena, Mal de pierres, suivi de Comme un funambule, traduit par Dominique Vittoz, Éditions Liana Levi, p. 153.
- AGUS, Milena, Battement d’ailes, traduit par Dominique Vittoz, Éditions Liana Levi, 2008, p. 144.
- AGUS, Milena, La comtesse de Ricotta, traduit par Françoise Brun, Éditions Liana Levi, 2012, p. 120.
- AGUS, Milena, Sens dessus dessous, traduit par Marianne Faurobert, Éditions Liana Levi, 2016, p. 160.
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