Conversation avec l’écrivaine Ilaria Gaspari
Par Laura Paoletti
À La Libreria, à Paris, endroit riche en événements autour de la littérature italienne, avec rencontres et débats réguliers, j’ai rencontré l’écrivaine Ilaria Gaspari, qui a présenté son livre L’Éthique de l’aquarium (L’etica dell’acquario) accompagnée de l’éditeur M. Gremese et de l’attachée de presse Mme Gibellini.
Le livre a en effet été édité en Italie par les éditions Voland, et en France par la toute nouvelle maison d’édition de Grenelle.
Au fait, le projet, nous a expliqué l’éditeur, M. Gremese, lors de la soirée, est de lier les jeunes auteurs italiens au territoire français et de leur ouvrir le panorama francophone.
Le premier véhicule de cette aventure des éditions de Grenelle est la collection « Roma livres », qui a accueilli Ilaria Gaspari, ainsi qu’Edoardo Maspero, auteur de Sans aucun remords (Nero catrame).
Le pari des éditions de Grenelle, appartenant au groupe Gremese Italia, est donc celui de se consacrer aux toutes nouvelles plumes italiennes, tant en langue originale qu’en français.
À ce propos, M. Gremese a eu l’intéressante idée de rendre disponible, via un téléchargement sur le site internet des éditions de Grenelle – suite à l’achat du livre en français –, les œuvres en langue italienne, pour permettre aux lecteurs francophones de découvrir leurs histoires dans leur écriture d’origine.
J’ai donc rencontré Ilaria Gaspari pour une interview. Elle m’a tout de suite entraînée dans son univers grâce à son enthousiasme : « je suis vraiment très contente de cette présentation, ici même en plus, dans cette librairie dans laquelle je venais souvent quand j’habitais à Paris, car je logeais juste à côté ! »
Commençons alors par Paris ! Tu as habité ici, n’est-ce pas ?
Oui, je suis venue ici pour un doctorat sur l’autobiographie chez Spinoza. Mais Paris était mon rêve depuis toujours ! Tu sais, je suis de Milan, les villes me séduisent, surtout les très belles ! Quand je suis arrivée, tout me paraissait magnifique ! Mais je devais tout de même travailler sur ma thèse, et travailler aussi dans un showroom de Valentino : j’habillais les hommes et les mannequins ! Je n’avais pas beaucoup de temps, mais au final, c’est ici que j’ai écrit L’Éthique ! Je l’ai même terminé avant ma thèse !
Puis quand le livre a été édité en Italie, j’étais sur le point de déménager ici pour de bon, mais j’ai dû rentrer pour pouvoir suivre les présentations du livre. D’autant que je trouve les présentations très intéressantes à faire : elles me permettent de comprendre des choses, compte tenu du fait que j’ai écrit ce livre il y a désormais 4 ans !
Tu aimerais donc revenir vivre à Paris ?
J’aimerais vivre un peu ici et un peu là-bas, oui ! Maintenant je suis à Rome, j’ai un contrat, j’écris pour des journaux, je m’occupe de traductions et bientôt sortira un autre livre, cette fois-ci avec les éditions Marsilio, un essai philosophique romancé sur l’amour ! Thème compliqué !
J’ai vu que tu as eu l’occasion de collaborer aussi avec “Il Libraio”.
Oui, j’y tiens des rubriques. Quand L’Éthique de l’aquarium est sorti, Antonio Prudenzano (le responsable du site, n.d. r.) – qui est un excellent journaliste d’après moi – m’a demandé si je voulais écrire un article sur le sujet de mon choix ; et j’ai choisi la nostalgie, qui est mon sentiment préféré ! Ensuite j’ai pensé à une rubrique sur les livres d’enfants lus par les adultes, et maintenant j’en tiens une sur les péchés capitaux.
Un mélange à mi-chemin entre philosophie et discussion, donc ?
Exactement, car l’écriture académique me faisait trop souffrir, il n’y a pas de public ! C’est pour cela aussi que j’aime beaucoup faire des présentations, tourner dans les villes, rencontrer des gens, parce que tu peux parler avec ceux qui te lisent ! C’est rare dans la production écrite académique.
Revenons à L’Éthique de l’aquarium. Pourquoi un roman noir ?
La raison est un peu frivole, mais drôle ! Pour travailler sur ma thèse, à l’époque, j’allais à la bibliothèque, mais pendant un moment celle de la Sorbonne (où Gaspari faisait son doctorat, n.d.r.) était fermée à cause de travaux, j’allais donc dans une autre bibliothèque située rue Cardinal, qui était spécialisée dans le roman noir et les policiers ! Il y avait aussi beaucoup de manuels et de traités sur comment écrire un roman noir, et pas mal de gens, un peu âgés, à vrai dire, qui s’intéressaient à tous ces livres. Ainsi un jour j’ai imaginé que tous ces gens étaient en réalité des écrivains de romans noirs ! Ça a donc juste été pour essayer et pour jouer que moi aussi j’ai écrit la toute première page, qui d’ailleurs est restée identique à celle qui a été publiée. Ensuite, je l’ai fait lire à des amis qu’ils m’ont dit : continue ! Et j’ai continué ! Pour moi, c’était vraiment un jeu au début cette histoire, puis un jour mon professeur de français (qui est par ailleurs aussi la traductrice du livre) m’a conseillé d’envoyer le manuscrit aux éditions Voland. Je m’en souviens encore ! J’étais dans le showroom de Valentino quand j’ai reçu son message, je me suis fait prêter un ordinateur par un client et j’ai tout envoyé !
Voilà pourquoi un roman noir, mais je suis tout de même passionnée par ce genre, ou plutôt, je dirais, une spectatrice. J’ai vu beaucoup de films français des années 40 et 50 sur ces atmosphères-là. Et en ayant lu Simenon dans ma jeunesse, j’avais vraiment cet imaginaire-là de la France.
Dans mon livre j’ai voulu jouer, disons, avec les codes du roman noir, avec ses clichés : l’inspecteur, l’investigation et l’enquête, le coupable… mais en les renversant.
Et pour cela ma formation philosophique a fait la différence. L’idée du sujet qui parle à la première personne m’intéressait vraiment, la possibilité que la voix qui raconte puisse être le coupable lui-même. Créer ainsi un personnage ambigu, tendre pour certaines choses, mais énervant pour d’autres.
Puis j’ai poussé dans ce sens-là : ce personnage qui ne sait pas, lui non plus, s’il est vraiment le coupable ou pas. J’ai voulu mélanger les cartes, annuler cette dialectique figée d’un coupable d’un côté et de la victime de l’autre. Et déplacer cette dynamique à l’intérieur de la protagoniste elle-même. Gaia, au fait, la protagoniste, se sent victime et coupable en même temps, ce qui oblige le lecteur à une absence de jugement… c’est très spinoziste !
Ce rapport que Gaia entretient avec la soi-disant victime, Virginia, est justement assez fascinant. Elle est aussi son alter ego, en quelque sorte. Parfois, je me suis même demandé si Virginia existait vraiment, si elle n’était peut-être pas qu’une projection de l’imaginaire de Gaia.
C’était ce que je voulais communiquer, comme si Virginia était quasiment un fantôme, une hallucination créée par la culpabilité de la protagoniste ! Et je voulais vraiment que ce soit perçu ainsi, car pour moi, au final, écrire c’est une tentative de se faire comprendre ! Raconter des histoires bien évidemment, mais aussi pouvoir s’exprimer ; au moins avec mon premier livre. Maintenant, pour le deuxième, je ressens moins cette exigence, ou plutôt je la ressens avec moins d’urgence que quand j’ai écrit L’Éthique. Et à part cet essai-roman philosophique, qui sera de toute façon édité dans la collection Essais des éditions Marsilio, j’attends encore un peu pour un autre roman, car je veux comprendre quelle autre idée est vraiment importante à mes yeux.
Donc pour L’Éthique, tu ressentais l’exigence de raconter ces années-là de l’université ?
Oui. C’est lié principalement au thème de la nostalgie, mais aussi à l’exigence de raconter ce cercle et ce milieu fermés, qui sont des choses dont on n’a pas connaissance, et pour permettre d’en conserver la mémoire. Et c’est un roman qui parle de l’université et d’un campus, thème très présent dans la littérature anglo-saxonne et américaine, mais presque absent dans l’italienne. J’ai été tentée par ce défi.
À la sortie du livre, as-tu reçu des commentaires de tes collègues de l’époque ?
Il y a quelqu’un qui m’a remerciée d’avoir donné voix à toute cette histoire de procès faits aux jeunes immatriculés (décrit dans un passage du livre, n.d. r.), qui est l’unique chose vraie de toute l’histoire. Mais il y a aussi quelqu’un qui m’a critiquée, car j’avais brisé l’omerta à ce sujet ! Maintenant la Normale a beaucoup changé depuis l’époque ; j’ai même été invitée par le directeur pour présenter le livre et en faire des lectures !
En tout cas, j’ai vraiment ressenti cette exigence de raconter tout cela aussi pour le mieux comprendre, et au final j’ai utilisé le cas de la Normale, mais j’aurais pu parler d’autres situations.
On peut ressentir dans ton livre une espèce d’abstraction liée à ce temps toujours humide et la pluie persistante sur la ville, à la répétition des actes dans la vie du collège et du campus… comme si Pisa et la Normale devenaient presque un symbole, pour décrire le népotisme et l’effet néfaste qu’il peut produire ?
Exacte, je voulais en faire une représentation. Je me l’imaginais un peu comme, tu vois les bulles en verre pour les touristes, celles que tu peux renverser pour voir la neige qui tombe ? Voilà, sauf qu’à la place de la neige dans mon histoire il y a de la pluie !
Quatre ans plus tard et après toutes ces présentations, aimes-tu encore ton livre ou alors as-tu envie de passer à autre chose ?!
Bonne question ! Alors, ce livre a changé ma vie, je l’ai écrit quand j’étais à un carrefour et je ne savais pas exactement quoi faire, il m’a donc permis de choisir, il m’a fait rencontrer mon public et des gens extraordinaires. Et au final il m’a permis de prendre conscience que raconter des histoires peut tout à fait être un travail. Mais aujourd’hui, c’est comme si on était deux vieux amis ! Ça me remplit toujours d’émotion de parler de cette aventure, mais au début je sentais ce livre presque comme un étranger ; aujourd’hui… on a plein de familiarités !
C’est très beau ce rapport à sa propre œuvre qui peut changer au fil du temps !
Oui et il a encore plus changé grâce à la traduction, que j’ai eu la chance de pouvoir suivre de près avec mon professeur Mme Marie Odile Volpoet, dans une langue qu’en plus j’aime énormément !
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