La femme nue, d’Elena Stancanelli

Après une séparation tout se brise, un monde entier s’écroule, et on peut se retrouver, tout à coup, à faire des choses ou à en penser d’autres dans lesquelles on ne se reconnait pas.

Par Ombretta Brondino

La femme nue, Elena Stancanelli - La Bibliothèque italienneDans ce livre, en lice pour le Prix Strega en 2015, l’abandon n’est pas le cœur de l’histoire, mais plutôt le contour à l’intérieur duquel se déroule ce qui – chez Anne – vient après. Elena Stancanelli nous fait le récit nu et cru d’une perte totale de lucidité chez Anne après qu’elle a été quittée par Davide. Anne est une femme rationnelle, élégante, sage et entourée d’amis, en résumé, une femme avec une intelligence au-dessus de la moyenne.

Après une séparation tout se brise, un monde entier s’écroule, et on peut se retrouver, tout à coup, à faire des choses ou à en penser d’autres dans lesquelles on ne se reconnait pas. Anne se retrouve à espionner les mouvements de son ex-partenaire en visionnant sur son portable les photos érotiques de « l’autre femme » (à cause de qui son histoire d’amour a cessé). Cela la jette dans un tourbillon de honte, de déchéance et d’instabilité qui la transforment en un spectre d’elle-même, s’arrêtant de manger, de se laver, de s’habiller et de se maquiller. Son désespoir, croissant vis-à-vis de ses nouvelles habitudes de vie et l’image de son ennemie toujours présente, devient de plus en plus profond et insupportable.

Je considère comme absolument superbe le choix d’affubler « l’autre femme » du petit nom de CHIEN, et d’évoquer ainsi l’image d’une petite personne dont l’activité la plus distinctive est celle de promener son chien. Mais CHIEN, en réalité, nous parle de l’anéantissement chez Anne qui refuse de reconnaitre un nom de baptême et est incapable de l’exprimer.

Elena Stancanelli utilise des mots clairs et crus pour décrire chaque pas de cette chute vers une partie du monde qu’Anne, en tant que femme intelligente, autonome et sure d’elle, n’aurait jamais pensé connaître. Dans ces pages, l’abîme entre le monde des personnes intelligentes et celui des sots et des fous se réduit par l’apparition au centre du roman d’une sorte de dignité liée à la douleur qui découle de l’obsession.

La femmina nuda, Elena Stancanelli, La Bibliothèque italienneAnne fait un reportage détaillé de sa douleur à une autre femme, une amie qui l’a sauvée grâce à sa patiente et silencieuse écoute. La beauté de ce geste provient du fait qu’elle ne se cache jamais et, malgré sa souffrance, soutenue par une sacrée responsabilité et une sorte d’extraordinaire fierté, elle décrit de façon minutieuse les choses les plus scandaleuses de cette période de détresse. Elle regarde sa situation sans jamais endosser le rôle de victime et vit cela avec la lucidité des femmes averties guidées par une sagesse primitive. Nous sommes, semble dire la Stancanelli, les seules responsables de cette dérive pleine de misères et d’actes ignobles et le seul moyen de s’arrêter un jour est de voir et de s’avouer cette pauvreté.

Voilà pourquoi dans ce roman la femme est nue. Elle est nue dans les tous sens du terme. Dépouillée de tout, mais surtout de sa dignité, Anne ouvre la voie vers l’authenticité et ces vérités qui sont dures à dire pour chacune lorsqu’une autre femme s’immisce dans notre vie : ce livre, j’en suis sure, fixe noir sur blanc l’ensemble des peurs engendrées par cette comparaison féroce et méchante (entre femmes).

Je conclus en disant qu’il s’agit d’un roman dur et « pas politiquement correct », mais qui vaut la peine d’être lu parce que cette histoire est un concentré de scandaleuse humanité.

STANCANELLI, Elena, La femme nue, traduction par Dominique Vittoz, Stock éditions, 2017, 216 p.

STANCANELLI, Elena, La femmina nuda, La nave di Teseo editore, 2016, 156 p.

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