Les Fivettes, d’Eleonora Mazzoni

Avec ce premier roman, sorti en en France le 20 mai 2018, Eleonora Mazzoni nous raconte la réalité peu connue, douloureuse et potentiellement addictive de la fécondation in vitro (FIV).

Par Francesca Vinciguerra

fivettes_couverture_FrLes Latins les appelaient dies fasti et dies nefasti. Affichés sur les calendriers publics le premier jour de chaque mois, ils indiquaient quels jours, selon la volonté divine, étaient propices ou néfastes pour entreprendre tout type d’affaires.

De ces distinctions fatidiques, il nous reste seulement des traces dans le lexique moderne et quelques superstitions, mais cette organisation de la vie quotidienne n’est pas étrangère à Carla ni aux autres femmes du roman Les Fivettes (Le difettose) d’Eleonora Mazzoni.

Obstinée, émotive et ironique, chacune de ces femmes a établi son propre calendrier, bien plus compliqué que celui des Latins, pour réussir à atteindre le rêve de la maternité. Les jours fertiles, les analyses pour compter les hormones, la fécondation, le transfert, l’attente, et puis le jour le plus noir du calendrier mensuel, celui de l’incertitude, où une tache rouge « maléfique » pourrait arriver et détruire tous les efforts.

Parce que les dies fasti et nefasti des « difettose » sont établis par mère Nature, une entité bien plus cruelle que les dieux corruptibles du panthéon latin.

Avec ce premier roman, sorti en Italie en 2012 et en France le 20 mai 2018, Eleonora Mazzoni nous raconte la réalité peu connue, douloureuse et potentiellement addictive de la fécondation in vitro (FIV).

Un sujet épineux et silencieux, une via crucis intime que l’auteure a elle-même arpentée et qui nous est racontée dans toutes ses contradictions : Carla Petri, la protagoniste du roman, a trente-neuf ans et deux mois et n’aime pas les retards, sauf un. Femme énergique et résolue, elle a travaillé toute sa vie pour obtenir le travail de ses rêves et a la chance d’avoir rencontré Marco, le copain parfait.

Carla n’a pas l’habitude des échecs, et pourtant elle se retrouve devant la déception de ne pas réussir à concevoir un enfant. Ainsi, elle commence une lutte contre le temps et contre la caducité de son corps de femme, qui devient par moments une obsession dangereuse.

Grâce au soutien des autres « fivettes » qui ont entrepris la même bataille et à la sagesse de Sénèque et de ses Lettres à Lucilius, elle sera peut-être amenée à voir son âme s’apaiser et à comprendre qu’avoir un enfant n’est ni un droit ni un caprice.

copertina LE DIFETTOSE

Les Fivettes n’est pas seulement un roman sur la fécondation in vitro. Dans notre société, la jeunesse est une marchandise dont on nous fait la publicité. Nous avons l’impression d’avoir tout le temps devant nous et qu’il n’est jamais trop tard pour obtenir quelque chose.

Mais si cela est vrai pour la luminosité de notre peau ou pour l’intensité de notre regard, il n’en est pas de même avec notre fertilité : « On ne fait pas de lifting aux ovaires », tranche Carla, désormais consciente que si les femmes sont amenées à suivre le rythme et les priorités de notre société, la nature n’en fait pas autant. Le temps nous glisse entre les doigts, invisible et léger, et dans une salle d’attente pour une procréation médicalement assistée, avoir trente-cinq ans signifie être vieille.

Par ailleurs, dans Le Difettose nous lisons la volonté de l’auteure de raconter une douleur qui n’a pas de nom. Parce que si ce type de fécondation est un sujet qui anime les débats, la stérilité reste un tabou dans notre société. Un problème perçu comme un « défaut » depuis toujours, et d’autant plus à notre époque où la réalisation personnelle touche les domaines les plus intimes de nos vies.

Ces femmes connaissent la souffrance de ne pas réussir à procréer et doivent en plus faire face au jugement de leur refus d’accepter une fatalité. Malgré la douleur que ce parcours impose, les « fivettes » du roman d’Eleonora Mazzoni nous dévoilent un monde coloré et caché, un réseau souterrain au jargon inaccessible et curieux, un nuage féminin de soutien et d’autodérision.

Un monde, celui des Fivettes, qui restera avec vous bien après la dernière page.

MAZZONI Eleonora, Les Fivettes, traduction de Paola Casadei, éditions Chèvre-feuille étoilée, 2018.

MAZZONI Eleonora, Le Difettose, Giulio Einaudi Editore, 2012, 184 pages.

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  1. Conversation avec l’écrivaine Eleonora Mazzoni – La Bibliotheque Italienne

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