I giorni della lumaca, de Riccardo De Gennaro
Quand le drame existentiel vire au polar
Tout part à vau-l’eau dans la vie d’Attilio Pederzini, partagé entre la fuite et l’immobilité, le désir et la folie meurtrière. Mais le long du mur de sa véranda, il y a un escargot, une présence amicale et presque sacrée. Et ainsi, quelque chose pourra être sauvé. À travers un crescendo de tension, un foisonnement d’hallucinations et de coups de théâtre, on connaîtra enfin la vérité. Ou plutôt, on croira la connaître, mais on en découvrira une autre, inattendue et aussi inquiétante que la première. Anarchique et farouche, le protagoniste est un héros absolu, qui rappelle Meursault, l’“étranger” de Camus.
Voici l’incipit du roman :
La nuit était noire. Comme la méchanceté de la seiche, comme la nageoire affilée sur le dos du requin. Il y avait une lune rousse, qui descendait lentement sur la mer et qui se brisait en disant je meurs.
Il y avait quelques semaines, tout me paraissait simple et insoupçonnable. Le soir, je restais assis sur la véranda pour me protéger de la chaleur. Cinq mouches tourbillonnaient autour de la lampe éteinte. Elles dessinaient des quadrilatères irréguliers, des triangles, ou encore des lignes brisées incompréhensibles, que par un besoin de précision, dicté par une sorte de rationalité, elles reconstruisaient, en revenant à leur point de départ. La chaleur était comme un poids écrasant. Parfois, tout à coup un insecte disparaissait, comme s’il avait été englouti par le vide. Les autres insectes continuaient leur vol silencieusement, indifférents à leur congénère. Ils s’élançaient dans des courses joyeuses, puis ils déviaient brusquement, sans freiner. Il arrivait que leurs trajets se croisent et à ce point-là, mais seulement alors, les lignes brisées se transformaient en courbes. Le bourdonnement constant donnait envie de dormir. J’étais fatigué, j’avais mal à la tête et je ressentais une sensation d’épuisement. Depuis quelques jours, j’avais des difficultés à digérer et je dormais mal. Il me fallait changer de travail, quitter la banque : les colonnes hautes et robustes de l’entrée, le lustre avec ses milles gouttes en verre couleur de l’ambre, les miroirs noircis des ascenseurs, l’énorme chambre forte dont la bouche était éternellement fermée : c’était peut-être ça la cause de mes maux de tête, de cette nausée qui me saisissait chaque fois que je franchissais le seuil du palais et que j’étais forcé, chaque matin, de retrouver mes collègues. Ils étaient fous. Comment pouvais-je me sauver, sinon par la fuite ? Longtemps les mouches n’ont été que quatre, puis – après avoir stationné dans mes cheveux – la cinquième s’est unie au groupe. Je me suis demandé si elles se bagarraient par hasard, en se heurtant les unes les autres, ou si elles aimaient faire la guerre. Bien qu’elles aient à disposition un ciel entier, elles s’obstinaient à bourdonner autour de la lampe : quand je l’ai allumée, au lieu de diminuer, leur énergie a redoublé. Au fur et à mesure que la nuit tombait, le cône de lumière attirait d’autres insectes, tandis que le chant des grillons devenait de plus en plus fort. Tout à coup j’ai ressenti une gêne au sourcil. J’ai enlevé mes lunettes et j’ai attrapé une araignée qui était descendue de la lampe, en profitant de ma distraction. Je l’ai écrasée, puis – après en avoir nettoyé les verres – j’ai remis les lunettes à leur place.
La colline en face était parsemée de lumières, comme un ciel étoilé. Je me demandais si avec le temps l’instinct des insectes ne produisait pas en eux une sorte de conscience de soi et, par conséquent, une série de pensées élémentaires. Peut-être ne produisent-ils qu’une seule pensée. Tandis que j’observais les évolutions nocturnes des mouches, je réfléchissais à la possibilité que moi aussi, durant ma vie, qui était déjà arrivée à la moitié de son chemin, je n’eusse pensé qu’à une seule et unique idée.
Traduction de Marta Somazzi
DE GENNARO Riccardo, I giorni della lumaca, Casagrande 2002, Laurana reloaded, 2015
Riccardo De Gennaro
Riccardo de Gennaro est né à Turin et il est licencié en économie. Pendant plus de vingt ans, il a été journaliste professionnel chez Il Sole 24 Ore et chez Repubblica. Outre son roman I giorni della lumaca ( Casagrande 2002 et Laurana reloaded 2015), il a publié le roman La Comune 1871 (Transeuropa, 2010, situé dans les années de la Commune de Paris), ainsi que le roman-reportage Mujeres. Storie di donne argentine (Manifestolibri, 2006). Il a aussi écrit la première biographie de Lucio Mastronardi, intitulée La rivolta impossibile (Ediesse, 2012). Il a été le directeur de Maltese narrazioni ; il a fondé et dirigé le trimestriel Il Reportage, qui a atteint sa neuvième année depuis sa fondation. Il collabore en tant que critique dans « Alias », le supplément culturel de Il Manifesto.
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