La tentation d’être heureux, de Lorenzo Marone
Cesare Annunziata est le principal protagoniste de La Tentation d’être heureux (La Tentazione di essere felici) de Lorenzo Marone, un jeune écrivain napolitain ayant fait des études de droit, mais n’ayant pas résisté à l’appel de la littérature. Le roman a eu un très grand succès en Italie, en abordant le sujet de l’âge mûr ; on lui a pourtant souvent donné la définition de « roman de formation ». Je préfère le considérer comme un formidable écrit sur la « transformation » que chacun peut apporter à son existence, à n’importe quel moment de celle-ci.
À l’âge de soixante-dix-sept ans, Cesare fait le bilan de sa vie passée et ce qu’il constate n’est pas encourageant : il a épousé une femme qu’il a cessé d’aimer trop tôt, a fait un travail épuisant toute sa vie durant ; il se rend compte qu’il a gaspillé son temps, même avec ses fils Dante et Sveva, avec qui il entretient des rapports conflictuels. En résumé, la plupart de ses relations sont fondées sur le confort et non sur l’effort qu’elles auraient nécessité. La vérité n’y a jamais tenu une place de choix, et malgré son malheur croissant, il n’a jamais eu la volonté d’apporter de véritables changements.
« J’ai soixante-dix-sept ans et pendant soixante-douze ans et cent onze jours, j’ai jeté ma vie à la poubelle »… avoue-t-il en se présentant au lecteur. Ce manque d’adaptation a généré en lui une sorte de dangereuse fermeture à tous les niveaux, surtout celui du cœur. Malgré sa solitude et sa misogynie avérée, Cesare a cependant un monde qui gravite autour de lui, un monde dans lequel il évolue tous les jours depuis le coin protégé de son appartement, où il fera la rencontre qui apportera enfin quelque chose de nouveau et d’inattendu à sa vie.
Toute sa lâcheté, les regrets et les ratages accumulés dans sa vie vont se transformer après la rencontre d’Emma, une jeune femme en pleine crise conjugale, qui va devenir sa voisine. Il s’agit en effet d’une rencontre qui lui ouvre un nouveau chemin et qui lui permettra de se relancer dans la vie. Emma n’est qu’une possibilité comme une autre, mais qu’il va totalement accueillir : « .. lei ha voluto vedere », lui dit Emma, « La maggior parte delle persone anche se ha un sospetto ti dedica uno sguardo compassionevole e si gira dall’altra parte. La gente ancora pensa che si tratti di questioni private da risolvere in famiglia. .
C’est une femme battue par son mari et le fait de ne pas s’en détourner, mais au contraire, d’entreprendre un chemin de connaissance de cette personne inconnue et de sa situation donne à Cesare la possibilité de sortir une fois pour toutes de son rôle d’ours cynique et renfermé sur lui-même.
Emma, quant à elle, « s’immerge » lentement dans son appartement « comme un Belzebù » et, devinant qu’elle peut lui faire confiance, s’ouvre à lui en lui avouant le danger qu’elle côtoie. La confession investit Cesare d’un rôle morale qui renversera l’équilibre de son petit monde : une sorte de déflagration intérieure l’obligera à mettre un terme à son insolente fuite des questions relationnelles et à les regarder en face, une à une.
C’est ainsi que, sans pour autant se métamorphoser, ce qui aurait été peu crédible, Cesare commence cependant à réexaminer les relations les plus importantes de sa vie. C’est ainsi que dans la liaison avec ses fils, son petit neveu, son ancien ami Marino, il dévoile une tendresse et un attachement auparavant impensables. Comme souvent lorsqu’on change sa propre attitude et qu’on s’ouvre, l’autre aussi se transforme en répondant favorablement.
J’ai beaucoup aimé ce roman, écrit dans une prose impeccable et presque musicale, qui évolue au fur et à mesure que le passé et le présent de Cesare se réunissent devant la porte d’Emma et son mari. Lorenzo Marone utilise le levier de la violence pour ébranler l’indolence et la cécité d’un vieil homme, et du lecteur également.
MARONE Lorenzo, La tentazione di essere felici, Longanesi & C. editore, 2015, 283 p.
MARONE Lorenzo, La tentation d’être heureux, traduction de Renaud Temperini, Belfond édition, 2016, 336 p.
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