Dix hivers à Venise, de Valerio Mieli
Par Anna Mistrorigo
Dix Hivers à Venise (2019) est le premier et unique roman de l’écrivain et réalisateur romain Valerio Mieli (Dieci Inverni, Rizzoli, 2009). À l’occasion de sa parution en langue française par Massot Éditions, dans l’excellente traduction de Laurent Lombard, ce roman a été présenté par l’auteur à la La Libreria de Paris.
La lagune vénitienne, de 1999 jusqu’à 2009, est le microcosme spatio-temporel dans lequel les voix des deux protagonistes, Camilla et Silvestro, tissent la narration d’une histoire qui se veut à la fois un roman de formation et une éducation sentimentale.
Camilla et Silvestro débarquent à Venise à l’âge de 18 ans pour commencer leurs études universitaires. Ces deux personnalités opposées mais complémentaires se rencontrent dans le vaporetto, le soir de leur arrivée dans la ville lagunaire. Camilla, avec son sac à dos contenant toutes les affaires nécessaires au démarrage d’une nouvelle vie, plonge la tête dans un roman pour se cacher du regard indiscret de Silvestro, un drôle de garçon tenant une énorme plante : un kaki. Camilla est « rigolote avec ses joues rouges et ses cheveux bruns coupés en carré. On aurait dit une gamine bien sage », alors que Silvestro, plus effronté et enfantin, est à la fois « beau et ridicule ».
Ils passeront la nuit dans le même lit, dans la maison de Camilla, sans se toucher. Cette rencontre au goût d’inachevé marquera le début d’une longue histoire d’attraction et de répulsion, d’amour et de haine, scandée par dix chapitres, par dix hivers. Dans le brouillard d’une Venise universitaire des années 90, le lecteur participe aux rencontres, parfois espérées, parfois hasardeuses, mais jamais anodines, des deux jeunes qui se cherchent, tout en essayant de comprendre comment devenir adultes.
S’il n’y a rien de plus intense à vivre qu’une relation en puissance, il n’y a par contre rien de plus banal à observer. Comment traduire ce pathos sur la page sans ennuyer son lecteur ? La solution de Mieli — réalisateur de formation — paraît simple et efficace. L’écriture de Dix hivers à Venise est en effet une écriture à deux voix qui, à la première personne, parlent directement au lecteur sans jamais réussir à communiquer entre elles. Grâce à cette polyphonie de la narration, l’auteur parvient à créer une grammaire relationnelle subtile et réaliste, se construisant sur l’assemblage de plusieurs points de vue auxquels le lecteur adhère. Bien entendu, on est dans le registre du sentimentalisme, mais il s’agit d’une affection chargée d’un vitalisme tendre et frais, dépourvu de toute euphorie, capable de ne jamais tomber dans le piège de l’exaspération du sentiment amoureux.
Ce n’est pas un hasard si la renommée de ce roman est intimement liée au succès de son adaptation cinématographique Dieci inverni (2010, Prix David di Donatello et Ruban d’argent). L’écriture de Dix hivers à Venise peut effectivement s’approcher de celle d’un scénario qui privilégie les dialogues en tant qu’éléments d’introspection des personnages. Tout comme dans le langage filmique, la narration romanesque de Dix Hivers à Venise garde ainsi un caractère éminemment mimétique : elle n’est en fait qu’une fenêtre qui s’ouvre, tous les hivers, sur un bout de vie des deux protagonistes.
Ainsi, le récit se développe dans une diachronie systématiquement interrompue, se focalisant sur les rencontres de Camilla et Silvestro, laissant au lecteur-spectateur la tâche de remplir les vides de l’histoire d’hiver en hiver. D’ailleurs, cette saison qui devient la métonymie de leur relation apparemment impossible, est également le cadre dans lequel on entrevoit, discret et mystérieux, le troisième protagoniste du récit, à savoir Venise.
À part lors d’une parenthèse moscovite, la quasi-intégralité de l’intrigue se passe dans un microcosme vénitien insolite et heureusement dépourvu du nappage mielleux traditionnellement accolé à la ville. Le lecteur apprendra, malgré lui, le lexique et la géographie d’un univers insolite, avec ses bacari, ses campi et l’acqua alta… Il découvrira aussi, juste au-delà de l’Arsenale, le petit appartement de Camilla, avec le kaki de Silvestro, et il partagera avec ces deux jeunes gens « l’espoir constant et cette attente d’une expérience ou d’une personne qui changera [leur] vie en recelant enfin le sens de tout, la raison de [leur] existence ».
Bibliographie en italien :
MIELI, Valerio, Dieci inverni, Rizzoli, 2009, 205 pages.
Bibliographie en français :
MIELI, Valerio, Dix hivers à Venise, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Massot Éditions, 2019, 224 pages.
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