Chaque fidélité, de Marco Missiroli

Dans ce roman, les valeurs et la morale sont remplacées par l’intensité du moment présent, rythmé par le remords, l’obstination, la soumission, le désir d’indépendance.

Par Serena Terranova

Ce roman ressemble à notre époque : c’est la première chose qui saute aux yeux quand on lit Fedeltà (Chaque fidélité) de Marco Missiroli. Pour les quadragénaires, et même pour les plus jeunes, le présent est caractérisé par l’incertitude, l’indécision, les aléas. Les protagonistes de ce roman doivent se confronter avec l’essence de ces problèmes : comment faire face à l’imprévu ?

Des doutes et des questions : c’est ce que Marco Missiroli attribue à ses personnages de manière à les obliger à choisir à chaque fois une direction. Mais parfois ces personnages – tout comme nous dans la vie réelle – choisissent de ne pas choisir : ils se retrouvent alors à la merci des vagues sans pouvoir choisir leur point d’ancrage.

Les vies de Carlo et Margherita – mariés, un couple désormais consolidé – basculent à cause d’un moment de faiblesse : Carlo a été surpris tandis qu’il harcelait sexuellement une élève dans les toilettes de la fac où il travaille. Carlo est tiraillé entre ses devoirs et ses rêves, égaré et hésitant comme un enfant seul dans la forêt ; Margherita, de son côté, est sûre de ce dont elle a besoin et persévère dans ses propres résolutions, quoiqu’elle redoute le moment où elle obtiendra ce qu’elle veut : convaincue que, son désir exaucé, son futur sera décevant, tout comme l’est son présent.

Tous les deux ont une certitude : les choses qu’ils possèdent n’ont pas le pouvoir de les garder vivants et heureux. C’est pourquoi chacun attribue systématiquement à l’autre la responsabilité de ses propres tourments, sapant ainsi certains fondements de la vie de couple : l’honnêteté, la confiance, la reconnaissance de ses propres fautes et finalement la fidélité. Ils permettent au monde extérieur, tout comme à ses provocations, de se déverser à l’intérieur de leur vie privée.

Dans les pages de Missiroli, on retrouve la grande fureur qui trouble les protagonistes : la perspective narrative s’éloigne de la voix d’un personnage pour s’attacher tout de suite à celle d’un autre. Le lecteur est ainsi dépaysé : il sera irrité, comme en proie au mal de mer, ou alors captivé, comme s’il vivait dans une union idéale avec les protagonistes.

Sofia et Andrea fluctuent à côté de Carlo et Margherita : tous deux sont respectivement les amants ratés de l’un et de l’autre. Ici, les relations extraconjugales sont caractérisées, elles aussi, par l’indécision, par un manque de résolution que les personnages prennent pour de la liberté – une liberté qui viendrait du plaisir, du sentiment d’affranchissement que l’on peut ressentir par rapport à ses propres émotions ou ses propres capacités.

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L’auteur reste toujours un peu en retrait par rapport aux évènements du roman. Il fait de la place au lecteur pour qu’il puisse s’immiscer entre sa voix d’auteur et les vies qu’il invente : le lecteur pourra ainsi choisir la voix qu’il veut écouter. C’est à cet endroit que nos opinions en tant que lecteurs se situent, là que s’élaborent les comparaisons avec nos vies et celles des gens qui nous entourent.

Fedeltà (Chaque fidélité) peut se définir aussi comme un roman « froid », où les valeurs et la morale sont remplacées par l’intensité du moment présent : les émotions – le remords, l’obstination, la soumission, le désir d’indépendance – sont la mesure de toutes les choses.

L’un des atouts du roman de Missiroli est le choix du mot « fidélité » dans le titre, puisqu’il se charge d’une valeur dramaturgique dans les consciences et dans les choix, ou les non-choix, des protagonistes : personne n’est intègre, nous sommes tous à la merci de quelque chose de beaucoup plus petit, mené par des ficelles qui font perdre le sens de l’orientation, à chaque fois.

Et on perd la mesure des choses. Les valeurs sont-elles encore importantes ou sont-elles juste un mur contre lequel on se jette en rebondissant ? Et le frisson, les rêves que l’on fait sur l’oreiller, les manies, ou encore les aveux que l’on fait à quelqu’un de plus âgé, toutes ces petites anecdotes, ne deviennent-elles pas des moments de clarté, des moments à partir desquels le voyage de la vie peut commencer ?

Parmi les habitants de ce monde que Missiroli a bâti pendant des années d’écriture, on retrouve une grand-mère et son petit-fils : leur lien est plus fort que les problèmes de Carlo et Margherita, puisque leurs sentiments vont droit au but : est-ce qu’on s’aime ? Fait-on partie d’une famille ? Se fait-on confiance ?

Face à la naïveté de l’enfant et à l’affaissement de la vieille dame, la force présumée des quadragénaires capitule. Et c’est peut-être à ce moment que nous remettons en cause tout ce que nous venons de lire. C’est une nouvelle clef de lecture qui nous fait mieux comprendre, qui nous aide à découvrir qu’un « oui » ou qu’un « non », tout court, sont la porte de sortie la plus proche pour s’échapper du fabuleux pays de l’hésitation.

Traduit de l’italien par Alexia Caizzi

Bibliographie en italien :

MISSIROLI, Marco, Fedeltà, Einaudi, 2019, 232 pages. (Finaliste Premio Strega et Lauréat du Premio Strega des Lycéens 2019)

Bibliographie en français :

MISSIROLI, Marco, Chaque fidélité, traduit de l’italien par Nathalie Castagné, Calmann-Lévy, 2019, 270 pages.

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