La recherche de la simplicité dans la poésie de Giorgio Caproni

« Je ne me résigne pas, je reste. M’accrochant aux brins d’herbe, à la forêt ». Giorgio Caproni

Par Lucrezia Lombardo

Traduction de Murielle Hervé-Morier

Giorgio Caproni, illustration de Simona Iamonte

Je ne me résigne pas, je reste.

M’accrochant aux brins d’herbe, à la forêt.

Au fleuve, bruissement et fraîcheur à l’ombre de la feuillée.

Quand vient le soir, assis sur cette pierre, j’attends.

Quoi je l’ignore encore. Le sommeil peut-être.

Ou bien la mort,

si, elle aussi, depuis bien longtemps n’avait déjà l’endroit déserté.

Attentif au moindre bruit, j’attends…

Ces quelques vers limpides, extraits du poème Pourquoi rester, synthétisent toute la recherche lyrique de Caproni, caractérisée par un style direct et humble, mais aussi élégant et majestueux de par la puissance évocatrice des images et leur profondeur. Le langage est d’ailleurs au centre de l’œuvre de l’auteur, convaincu de la double nature des mots. Grâce à eux, il donne d’une part un sens à toute chose et tout sentiment et d’autre part, il se distancie de la vie. En effet – comme Caproni semble nous le rappeler – si on cherche à réduire le monde à sa plus simple expression tout comme à des événements, la vie nous échappe et dépasse l’écriture, laquelle continuera malgré ses limites à nourrir l’esprit.

Dans l’extrait cité, alors qu’il a désormais atteint un âge fort avancé, l’auteur révèle le doute qui l’assaille ; un tourment qui, en plus de servir le langage poétique, affecte toute la condition humaine sur laquelle la mort plane inexorablement. Face à cette extrémité et, avec la puissance de ses vers, le poète avoue ne pas se sentir prêt à quitter ce monde ni à laisser un endroit familier qu’il chérit, quand bien même ces lieux seraient désormais aussi dépouillés que les branches des arbres en automne. Même s’il n’en émane que de faibles bruits, à peine perceptibles à travers les feuillages, l’herbe, les forêts et les eaux du fleuve retiennent encore Caproni à la vie. C’est donc le

contraste entre la mort et l’attachement aux choses simples de la vie qui constitue l’essence même de la poésie de Caproni, qui se plaît à danser avec élégance à la lisière de l’inévitable.

Comme ces vers nous le révèlent, le poète – saisi par un lien indéfectible – prend conscience de son incapacité à accepter le sort et à appréhender “le sens ultime” de sa courte existence.

« Je reste », déclare Caproni d’un ton laconique laissant transparaître son inaptitude à se détacher du décor familier qu’il affectionne, de ses souvenirs et de la pierre sur laquelle il va s’asseoir à la tombée de la nuit, attendant là de voir la vie s’écouler pour ensuite se dissoudre.

Seul au beau milieu de cette nature tant aimée, l’auteur est dans l’expectative de l’imprévisible, d’un inéluctable ayant néanmoins les reflets de cette eau, de ces bois et de ces feuillages et qui prend donc l’apparence du souvenir et de l’habitude, en ces lieux chers et familiers où la vie se déroule avec joie et simplicité. Tout ceci dans l’attente du sommeil, ou peut-être d’un sommeil plus définitif qui prendra Caproni, lui qui se veut hors du temps, à l’instar de ses poésies où retentit un hymne à la vie par-delà le crépuscule. Ainsi écrit-il encore :

Hors du temps, suis-je ?

Mais je reste avec moi-même.

Refusant de me laisser,

hors de moi extirper…

Il nous fait donc part de sa lucidité quant à la fin imminente de son voyage. Pourtant, justement pour cette même raison, Caproni tient à souligner ne pas vouloir quitter la vie – “sortir de lui- même” – et compare la mort au fait de “se détacher de son propre Moi”. Dans le fond, mourir n’est rien d’autre qu’une “sortie hors du temps” via une coupure radicale de tout ce qui nous rattache au monde. Ainsi, en louvoyant entre le souvenir des affects passés et le souvenir des moments authentiques que cette vie réserve, même à son épilogue, Caproni réussit à donner à la poésie toutes les couleurs d’une tapisserie bariolée. Il le fait à la manière d’un hymne – au sens épicurien du terme – aux souvenirs, aux choses simples ; un voyage entre les flux, au gré d’un tourbillon emportant chacun de nous comme une feuille morte en automne.

Des feuilles

que seul le cœur voit

et que l’esprit ne croit.

G. CAPRONI, Tutte le poesie, Garzanti, Milano 1983 également disponible dans le recueil G. Caproni,

L’oeuvre poétique, Galaade, Paris 2014.

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