Bookpride: l’orgueil de faire de la culture indépendante
En Italie, il existe une grande quantité de festivals littéraires et de foires de l’édition, de toutes les dimensions – en fait il serait intéressant d’étudier la multiplication de ces événements ces dernières années. On connaît bien Le Salon du livre de Turin, le plus grand rendez-vous pour les professionnels du secteur, mais il y a aussi Più Libri Più Liberi, à Rome, qui est consacré à de petites et moyennes maisons d’édition, ou La Fiera del Libro di Bologna, focalisée sur la littérature jeunesse.
La ville de Milan, bien qu’elle soit le siège de plusieurs maisons d’édition, est longtemps restée sans manifestation littéraire de taille. Mais en 2015 est né Bookpride, une manifestation organisée par l’ODEI (L’Observatoire de l’édition indépendante, plus tard devenu ADEI – Association des éditeurs indépendants), qui s’annonce comme la foire nationale de l’édition indépendante. L’événement avait recueilli un certain succès et ainsi assuré sa continuation les années suivantes. Événement à part, Bookpride n’est pas arrivé à trouver un endroit qui lui corresponde, mais a continué à voyager dans les différents quartiers de la ville de Milan, passant du bâtiment des Frigoriferi Milanesi, à Base, à La Fabbrica del Vapore. Alors que le festival était toujours resté dans le cœur battant de la ville, l’édition 2022 l’a amené au-delà du périphérique, dans le Super Studio Maxi.
Cette dernière édition, où j’ai pu me rendre du 4 au 6 mars, marquait le retour attendu de la manifestation, après une édition 2020 en ligne et une édition 2021 manquée. Il faut dire que le retour tant souhaité n’a pas pu être préparé avec l’ampleur que les organisateurs envisageaient, vu que l’incertitude concernant la situation sanitaire les a poussés à prendre des décisions définitives le plus tard possible. Ce qui a provoqué un retard dans la communication, avec un programme qui n’a été révélé au public que le week-end précédent la manifestation. Par ailleurs les exposants ont découvert en même temps que le lieu de la foire le fait que l’accès serait payant pour le public. Ce qui a généré quelques mécontentements, des appréhensions relatives à la participation, étant donné que réserver un stand est un investissement important pour une maison d’édition et que la situation géographique hors du centre-ville faisait du déplacement pour s’y rendre une sorte d’aventure pour les Milanais : la crainte était de perdre le trafic des curieux et de ne recevoir la visite que de spécialistes du secteur ou de grands lecteurs qui n’ont pas excessivement besoin d’être guidés dans leurs explorations littéraires.
Si la journée du vendredi a semblé confirmer les pires craintes des organisateurs et a engendré quelques soupirs envieux en direction de Testo – la première édition d’un nouveau festival littéraire à Florence, qui avait merveilleusement débuté quelque jours avant –, samedi et dimanche l’affluence est remontée et le moral avec elle. Il est assurément difficile de faire des prévisions et des paris sur des événements publics en cette période, et le fait que l’équipe des organisateurs de Bookpride a changé depuis son interruption et a perdu Giorgio Vasta et Alessandro Gazoia n’a certainement pas aidé. Cependant, Bookpride a tenu le coup et si les couloirs semblaient moins fréquentés, c’était peut-être dû aux plus grandes dimensions de l’espace choisi. En fait, selon les organisateurs, l’année 2022 a compté plus de deux cents adhésions, une sorte de record pour la manifestation.
Et il est vrai que, sur les stands, on trouvait des visages connus, mais aussi des nouveaux, comme Utopia, maison d’édition née en 2020 qui faisait une de ses premières apparitions en public avec son projet de « ne pas proposer des livres qui vendent, mais de vendre des livres qu’il faut proposer ».
Le thème de Bookpride 2022 était « Multitudes » et les rencontres organisées s’étalaient entre des rendez-vous avec des professionnels du secteur de l’édition, des lectures, des conversations avec les auteurs et des interventions de personnalités du monde de l’information.
Les expositions comme les rencontres abordaient les problématiques chères à notre actualité et on a pu voir une focalisation sur les féminismes et sur le monde queer. Minimum fax présentait justement l’essai de Halberstam L’Arte queer del fallimento (pas encore traduit en français, mais disponible dans sa version originale en anglais), qui aborde le mal-être de la société du capital en invitant à embrasser nos défauts et nos défaillances, sur l’exemple des personnes queer. Le collectif Ni Una Menos est quant à lui intervenu pour la présentation du livre de l’une des fondatrices du mouvement, Verónica Gago, La potenza femminista. Il desiderio di cambiare tutto publié par Capovolte (La puissance féministe – ou le désir de tout changer, Éditions Divergence). Racconti edizioni a choisi pour son intervention le recueil de Randa Jarrar Io, lui e Muhammad Ali qui met en scène des histoires de femmes très différentes les unes des autres.
L’autre grande protagoniste de la manifestation était la littérature de l’Europe de l’Est. On peut se demander s’il s’agit d’un intérêt passager dû à l’actualité ou si on est face à une véritable tendance dans les habitudes de lecture des Italiens, à l’image de la redécouverte de Gospodinov, dont le roman Cronorifugio (Le pays du passé, Gallimard) faisait concurrence au dernier Nothomb sur la table des éditions Voland. Du côté du stand d’Exorma on trouvait l’essai Donbass la guerra fantasma qui relate le conflit entre l’Ukraine et la Russie depuis 2014 (pour le moment disponible seulement en langue italienne). Selon Fabio Mendolicchio, fondateur de Miraggi edizioni, il s’agit plutôt de la juste reconnaissance de la valeur d’une littérature de très grande qualité qui sait quand même rester populaire. Il cite en exemple le roman de la tchèque Jakuba Katapla, I tedeschi (non traduit en français), qui trace « une géographie de la perte » sur les lignes floues d’une épopée familière.
Tout compte fait, le bilan de Bookpride 2022 est resté pour moi positif et j’attends de voir ce que l’édition 2023 nous réservera – une croissance confirmée ou la nécessité d’évoluer vers des formes différentes ?
Laisser un commentaire