Une affaire italienne, de Carlo Lucarelli

Ecrire sur le commissaire De Luca, c’est écrire sur les Italiens et le rapport qu’ils ont avec leur passé.

Bologna, San Luca

Par Francesca Vinciguerra

L’écrivain et animateur de télévision italien Carlo Lucarelli reprend du service : après 23 ans de pause, il sort son fameux commissaire De Luca du placard. Avec Une affaire italienne, l’écrivain plonge à nouveau dans l’histoire italienne, explorant la ville de Bologne entre 1953 et 1954, en pleine Guerre froide. Présenté au festival Toulouse Polars du Sud, Une affaire italienne est parmi les six romans sélectionnés pour le prix Violeta Negra Occitanie 2022.

À Bologne, l’hiver, il fait un froid de canard. Ça, le commissaire De Luca l’avait presque oublié, depuis le temps qu’il n’avait plus mis les pieds dans cette ville. Même le jaune ocre légèrement orangé des murs du centre-ville n’arrivent pas à réchauffer l’atmosphère. Si le commissaire est de nouveau en ville, sous une fausse identité, c’est que les services secrets italiens ont désespérément besoin de ses talents et de son intuition. La femme d’un prestigieux professeur d’université a été brutalement tuée dans la garçonnière de son mari, lui-même mort dans un accident de voiture quelques mois auparavant. De Luca a – enfin – l’impression d’être devant un cas d’école, fait d’indices et de suspects. Mais ce n’est qu’une impression. Son flair l’aide vite à repérer la grande Histoire qui s’immisce dans l’enquête, en brouillant les cartes. De Luca se retrouve bientôt à faire lui-même l’objet d’une enquête interne des services secrets, dans une Italie qui cherche encore à se débarrasser des résidus de fascisme. Et le commissaire, malgré lui, cache dans son passé une chemise noire et la carte du parti de Mussolini. Après avoir exercé dans la police fasciste et avoir été jugé par l’épuration partisane, la Guerre froide entre dans la vie du commissaire De Luca qui, à son accoutumée, ne demande qu’à exercer son métier, celui de policier.

Vérité et justice

À chaque fois que le commissaire De Luca se trouve face à un homicide, le monde autour de lui disparaît : démangé par l’enquête, il perd sa sérénité, l’appétit et le sommeil tant qu’il ne connaît pas l’identité de l’assassin. Une obsession de vérité et de justice qui lui fait oublier le monde qui l’entoure : peu importe qu’il travaille pour la police fasciste ou pour les services secrets de l’Italie chrétienne-démocrate des années 50. Ce qui l’intéresse, c’est son métier de policier. Au point qu’il lui arrive d’oublier d’afficher son insigne fasciste sous le fascisme ou de négliger de l’enlever quand il prend la fuite suite à la libération de la ville de Bologne. Au fond, pour lui, tout cela n’a pas d’importance. Une attitude distraite, parfois égocentrique qui, au passage, l’amène à commettre plusieurs erreurs. Une ambiguïté recherchée par son auteur, Carlo Lucarelli. Comme il l’admet lui-même dans une interview à Milano nera, écrire sur le commissaire De Luca, c’est écrire sur les Italiens et le rapport qu’ils ont avec leur passé : « Pour moi, écrire sur De Luca signifie écrire sur l’attitude de beaucoup d’Italiens, dont je fais sans doute partie. Les Italiens de cette époque sont les mêmes qu’aujourd’hui. » Des Italiens qui connaissent peu leur histoire, qui tracent leur route, insouciants de la grande Histoire qui les entoure.

« Ce livre, je veux vraiment que quelqu’un le lise »

Carlo Lucarelli commence à écrire des romans à l’âge de 14 ans. Pendant des années, il collectionne les refus des maisons d’édition, quand ses manuscrits ne se perdent pas dans « un silence cosmique, me laissant espérer leur retour, comme celui d’un fils parti à la guerre ». Jusqu’au jour où, en écrivant son mémoire sur l’histoire de la police fasciste, il a l’idée du premier roman de la série du commissaire De Luca, Carta bianca. Il ne peut plus attendre. Il met de côté son mémoire et se lance dans son pari, le énième, mais cette fois-ci, il le sent : c’est différent. Une pensée le frappe : « Celui-ci, je veux vraiment que quelqu’un le lise. » Le commissaire De Luca a été le premier personnage créé et publié par Carlo Lucarelli. Mais aussi celui qui ponctue son existence littéraire. Il y eut ensuite d’autres séries : celle de l’inspecteur Coliandro, celle du capitaine Colaprico, ou encore celle de l’inspectrice Grazia Negro. Les succès furent innombrables, entre ceux du papier et ceux de l’écran : qui, en Italie, ne connaît pas Blu notte – Misteri italiani, l’émission écrite et conduite par Carlo Lucarelli retransmise entre 1998 et 2012 sur les affaires criminelles italiennes irrésolues ? Mais le commissaire De Luca est différent, il est là comme une pierre angulaire dans le parcours de son créateur. Carlo Lucarelli écrit d’emblée les trois premiers romans de la série : Carte blanche (1990), Un été trouble (1991) et Via delle Oche (1996), rapidement traduits en français. Lorsque le lecteur rencontre pour la première fois le commissaire De Luca, on est en avril 1945, pendant les derniers mois de la République de Salo et la chute du fascisme. Un été trouble se situe durant l’été de la même année, quand le pays entier est en pleine débandade, alors que le commissaire De Luca, qui fait la fierté de la police fasciste, est obligé de s’enfuir et de se cacher dans la campagne d’Émilie-Romagne. Via delle Oche donne rendez-vous à son protagoniste trois ans plus tard, toujours sous les arcades de Bologne, où, à la fin de son enquête, l’Histoire rattrape De Luca par la manche. Après une pause de 23 ans, Carlo Lucarelli redonne vie à son commissaire avec Une affaire italienne, pour raconter son rapport à l’Histoire, mais aussi pour répondre aux questions laissées en suspend : peut-on exercer son métier coûte que coûte ? Le commissaire De Luca était-il fautif sous le fascisme ? Comment s’en sortira-t-il pendant la Guerre froide ? Les réponses se cachent dans les pages de ce nouveau roman qui, encore une fois, interroge les lecteurs italiens sur leur propre rapport à l’histoire contemporaine.

Bibliographie française :

  • LUCARELLI Carlo, Carte blanche suivi de L’Été trouble, Série noire, Gallimard, 1999, 288 pages, traduit de l’italien par Ariette Lauterbach.
  • LUCARELLI Carlo, Via Delle Oche, Série Noire, Gallimard, 1999, 208 pages, traduit de l’italien par Ariette Lauterbach.
  • LUCARELLI Carlo, Une affaire italienne, Métailié 2021, 208 pages, traduit de l’italien par Serge Quadruppani.

Bibliographie italienne :

  • LUCARELLI Carlo, Carta bianca, Sellerio, 1990, 118 pages.
  • LUCARELLI Carlo, L’estate torbida, Sellerio, 1991, 108 pages.
  • LUCARELLI Carlo, Via delle Oche, Sellerio, 1996, 168 pages.
  • LUCARELLI Carlo, Intrigo italiano, Einaudi, 2017, 171 pages.
  • LUCARELLI Carlo, Peccato mortale, Einaudi, 2018, 211 pages.
  • LUCARELLI Carlo, L’inverno più nero, Einaudi, 2020, 312 pages.

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