L’invention de la mère, de Marco Peano

Un texte hybride, entre roman de formation et histoire d’horreur

De Veronica Nucci

L’invention de la mère est le titre que Marco Peano a choisi pour son premier roman, écrit en 2015 et qui a gagné de nombreux prix littéraires en Italie. L’écrivain est né à Turin en 1979 et est éditeur de fiction italienne chez Einaudi. En 2021, il a publié son deuxième roman, Morsi, avec la maison d’édition Bompiani. Il s’agit d’un texte hybride, entre roman de formation et histoire d’horreur, avec lequel il s’est définitivement affirmé sur la scène littéraire italienne.

Dans ce premier roman, la mère est le sujet principal, même si elle n’est jamais présente. Elle ne peut participer activement à la vie de son fils, et elle ne peut ni parler ni exprimer ses émotions. Ce seront donc sa maladie en phase terminale et sa mort inéluctable qui seront au centre du récit.

Mattia est un garçon de vingt-sept ans et sa mère est encore jeune quand, après des années passées à se soigner pour un cancer, on lui découvre une carcinomatose méningée qui lui laisse très peu de temps à vivre. Mattia cherche à faire face à la douleur éprouvée à cause de la maladie de sa mère, d’abord, et pour sa mort ensuite. Comme tout garçon perdant sa mère prématurément, il se retrouve à mettre de côté sa jeunesse et à remettre en question ses relations avec ses proches, comme celle avec son père, par exemple. Il n’arrive plus à étudier à l’école de cinéma comme il l’avait prévu, ou bien il se cache derrière son deuil : l’étude et le travail ne seront jamais des aspects centraux de sa vie. Il travaille dans la vidéothèque du village où il habite, au moment de la transition technologique des années 2000. Très peu de clients passent par là : ceux encore liés au passé par leur attachement aux vidéocassettes (sujet qui reviendra d’ailleurs plusieurs fois dans le roman). Son chef qui est alcoolique n’est pas fiable et compte sur Mattia pour gérer son activité, sans jamais montrer d’empathie envers lui.

Concernant ses relations personnelles, Mattia ne sera pas capable de poursuivre son histoire avec sa copine, parce qu’il la verra désormais comme la belle-fille que sa mère aurait pu avoir. Il n’arrivera pas à maintenir un rapport avec ses amis non plus à cause de ses refus continuels à leurs demandes de sorties.

Le roman est divisé en trois parties qui peuvent être comparées aux trois phases principales de la maladie de la mère. Il y a un « avant » : la découverte de la maladie, le désespoir du fils, mais aussi la croyance en la capacité de sa mère à gagner contre le mal, le fait d’apprendre à vivre avec, les nouvelles routines de soin et le changement. Ensuite vient le « pendant » : l’agonie, l’attente de la mort, la tristesse, l’impuissance, le choc et l’improvisation. Enfin, arrive l’« après » : la difficulté à trouver la motivation de recommencer à vivre.

La tête reconstruit ce qui n’existe plus : c’est l’invention de la mère.

Pendant tout le roman, l’auteur utilise le présent de l’indicatif. Tout autre temps ne permettrait pas de représenter la douleur de la perte de la mère par son fils. Le mal s’est cristallisé en un « maintenant » infini et Mattia se sent prisonnier de ce moment.

Les chapitres sont courts et se terminent toujours avec une réflexion du personnage principal entre parenthèses : les pensées de Mattia, ses associations, les liens qu’il fait avec le passé, des dates significatives, mais aussi des comparaisons entre la situation qu’il est en train de vivre et le passé. Ces réflexions sont le lien que Mattia maintient avec le monde, alors que sa tête et ses efforts sont consacrés à sa mère.

Dès le début, le fils explique que sa mère ne parvient plus à monter les escaliers de leur maison pour rejoindre sa chambre à cause de l’avancée de la maladie. Mattia et son père installent donc sa nouvelle chambre dans une petite dépendance dans le jardin : un lieu « au-delà », un lieu à part, où la douleur de Mattia peut être confinée et s’exprimer librement tout en restant circonscrite. Comme un tiroir qu’il faudrait garder fermé car quelque chose de précieux serait à l’intérieur.

Un autre aspect intéressant du roman est celui de l’importance du langage pour le protagoniste. Il y a les mots difficiles liés à la maladie que le fils et le père doivent apprendre à maîtriser, à accepter. Il y a cette obsession de Mattia de trouver le mot parfait et pertinent pour chaque situation. Les mots ont un poids et Mattia le sait. Lors des condoléances, tout sonne faux, par exemple. L’absence de mots joue aussi un rôle clé : Mattia évoque le prénom de sa mère à plusieurs reprises, reprochant aux gens de mal le prononcer, en utilisant la mauvaise voyelle, le « o » au lieu du « a », pourtant ce prénom ne sera jamais prononcé. Elle n’aura jamais de nom, elle sera uniquement sa mère.

Mattia se demande si un fils peut encore être appelé comme tel à la mort d’une mère, quand tout est à reconstruire, à recommencer, effectivement, par les mots.

Le premier roman de Marco Peano est important, voire ambitieux. Parler de la mort et de la douleur que celle-ci entraine est un exercice difficile et l’auteur a un don dans ce domaine, c’est certain. 

Bibliographie italienne:

PEANO Marco, L’invenzione della madre, Minimum Fax, 2015, 252 pages

Bibliographie française:

PEANO Marco, L’invention de la mère, traduction de Anaïs Bouteille-Bokobza et Aurélie Bontout-Roche, Phébus Éditions, 2017, 243 pages

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