Portrait d’écrivain : Goliarda Sapienza

Chaque personne a son secret. Ne violez pas ce secret, ne le disséquez pas, ne le cataloguez pas pour votre tranquillité, par peur de percevoir le parfum de votre secret inconnu de vous-même, que vous portez enfermé en vous depuis votre naissance. Goliarda Sapienza

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Par Gessica Franco Carlevero

« Chaque personne a son secret… Ne violez pas ce secret, ne le disséquez pas, ne le cataloguez pas pour votre tranquillité, par peur de percevoir le parfum de votre secret inconnu de vous-même […], que vous portez enfermé en vous depuis votre naissance… » 

SAPIENZA Goliarda, Le Fil d’une vie, éditions Viviane Hamy, 2005.

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Goliarda Sapienza, illustration de Pia Taccone

Goliarda Sapienza est née en 1924 à Catane, en Sicile.

Durant son existence, consacrée au théâtre et à l’écriture, elle a traversé de mauvaises passes, marquées par les difficultés économiques, la prison, les suicides manqués et les internements psychiatriques.

Son premier roman est Lettera aperta (Le fil d’une vie) édité par Garzanti en 1967. Deux ans après elle publie Il filo di mezzogiorno.

Goliarda Sapienza - La Bibloithèque italienne

Entre 1967 et 1976 Goliarda Sapienza écrit plus de 600 pages au Bic noir et réalise son chef-d’œuvre : L’arte della gioia (L’art de la joie), roman que l’écrivaine n’aura jamais la satisfaction de voir publié.

La liberté qui se dégage de L’art de la joie a des allures presque visionnaires, trop en avance sur son temps, peut­-être.

Ensuite, elle parvient à publier deux autres romans à caractère autobiographique : L’Università di Rebibbia (L’Université de Rebibbia) récit sur son passage en prison pour avoir commis un vol de bijoux lors d’une soirée mondaine, et Le certezze del dubbio (Les Certitudes du doute).

Puis, en 1996, Goliarda Sapienza meurt à la suite d’une chute dans les escaliers.

Il revient alors à son compagnon Angelo Pellegrino de se batte pour que L’art de la joie soit édité. Et finalement, le plus important roman de l’écrivaine sicilienne obtient sa parution en 1998 chez Stampa Alternativa.

Pourtant, la réaction des lecteurs et de la critique est nulle. Personne ne s’aperçoit de la grandeur de cette œuvre.

C’est à l’étranger qu’on demeure fasciné par ce roman, d’abord en Allemagne et ensuite en France.

Dans la thèse de Maria Valeria Bonaccorso, L’acte de traduire L’arte della gioia, la traductrice Nathalie Castagné a déclaré : « J’ai été stupéfaite de découvrir un texte à ce point hors du commun – car c’est rarissime d’avoir entre les mains un livre si extraordinaire, totalement inconnu – et si enthousiasmée par sa première partie que je priais le ciel (des anarchistes) de n’être pas déçue par la suite […] ».

Et bientôt le roman a commencé à faire parler de lui.

Publié posthume en 1998, vingt ans après la fin de sa rédaction, L’art de la joie est surtout un roman qu’on a refusé d’éditer du vivant de son auteur, parce qu’il n’était ni en avance ni en retard sur son temps, mais simplement ailleurs. D’autres (mauvaises) raisons sont entrées en compte, tenant à la « monstruosité » du livre ou de celle qui l’a écrit, Goliarda Sapienza, d’abord sublime actrice de théâtre et de cinéma, puis, poétesse et romancière voulant saisir les temps qui changent. (MARONGIU J.­B., « Hymne à l’amour », Libération, 6 octobre 2005.)

 

L’art de la joie dépeint une société italienne du début du siècle marquée par une culture patriarcale et conservatrice.

L’héroïne, Modesta, née le 1er janvier 1900, incarne tous les combats de son siècle : elle est féministe, bisexuelle, communiste et antifasciste.

Modesta connaît la maladresse et les déboires, la pauvreté, l’absence de père, le viol, le couvent, la maternité, la psychanalyse jusqu’à la vieillesse. Elle vit les situations les plus différentes.

On tombe amoureux parce qu’avec le temps, on se lasse de soi-même et on veut entrer dans un autre pour le connaître, le faire sien, comme un livre, un paysage. Et puis quand on l’a absorbé, qu’on s’est nourri de lui jusqu’à ce qu’il soit devenu une part de nous-même, on recommence à s’ennuyer. Tu lirais toujours le même livre, toi ?

La protagoniste traverse les expériences les plus cruelles en se fortifiant, toujours guidée par une force intérieure : l’art de la joie.

Modesta arrive alors à la conclusion qu’« on ne peut communiquer à personne cette plénitude de joie que donne l’excitation vitale de défier le temps à deux, d’être partenaires dans l’art de le dilater, en le vivant le plus intensément possible avant que ne sonne l’heure de la dernière aventure ».

L’art de la joie est un ouvrage audacieux et courageux qui met en discussion les certitudes les plus consolidées.

Le mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie les plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations de siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter, pour ne plus m’en servir, ceux que l’usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation.

La publication à l’étranger de L’art de la joie obtient rapidement un succès inattendu. La clameur et les grosses ventes provoquent ensuite un regain d’intérêt de l’importante maison d’édition Einaudi, pour donner lieu, en 2014 à la publication d’un format poche.

En France, les éditions Le Tripode ont entamé la publication de l’œuvre de Goliarda Sapienza. Quatre titres sont déjà dans le catalogue de la maison d’édition : L’Art de la joie, Les Certitudes du doute, L’Université de Rebibbia, Moi, Jean Gabin, Rendez-vous à Positano, ainsi que le texte d’Angelo Pellegrino Goliarda Sapienza, telle que je l’ai connue.

 

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