L’Arminuta de Donatella Di Pietrantonio

Donatella Di Pietrantonio se pousse dans un territoire difficile et compliqué comme celui de la maternité hors des conventions (avant elle Michela Murgia avec Accabadora avait déjà excellemment hasardé avec ce filon) et le fait d’une manière douce et crue au même temps.

Par Ombretta Brondino

La revenue, Donatella Di Pietrantonio, La Bibliothèque italienne.jpgC’est en janvier 2018 que La Revenue (L’Arminuta) paraît en France chez l’éditeur Le Seuil, dans la traduction de Nathalie Bauer. L’auteure de cette œuvre qui a gagné le Prix Campiello en 2017 est Donatella Di Pietrantonio qui, à mon avis, page après page, se révèle être dans ce roman une des plus dignes spécialistes de la narration relative aux liens féminins.

L’image initiale du roman est aussi la plus puissante et, en ce sens, capable de toucher des cordes anciennes, presque ancestrales, chez le lecteur qui ne peut s’empêcher de rester attaché à ces pages, tout à fait lyriques et magnétiques, jusqu’à la dernière ligne.

Treize ans, c’est si jeune pour découvrir qu’on est la fille de deux mères différentes et être forcée de quitter la maison où l’on a été confortablement élevée pour aller vivre chez une famille indigente et méconnue qui est censée être sa famille biologique. Ce deuxième toit appartient à la famille de sang de notre protagoniste qui va être rendue à cause d’une mystérieuse maladie affectant la femme qui, jusqu’à ce stade, s’était occupée d’elle.  Comme tout enfant, elle ne s’attendait pas à un événement si fort dans sa vie et on le comprend dès les premiers mots du roman :

À treize ans, je ne connaissais plus mon autre mère. Je grimpais non sans mal l’escalier de chez elle avec une valise et un sac bourré de chaussures en vrac. Sur le palier m’ont accueillie une odeur de friture récente et une attente. La porte refusait de s’ouvrir. À l’intérieur, quelqu’un la secouait sans rien dire et s’affairait auteur de la serrure. J’ai regardé une araignée se démener dans le vide, pendue à l’extrémité de son fil. Après le déclic métallique, une gamine dont les nattes lâches dataient de plusieurs jours est apparue. C’était ma sœur, je ne l’avais jamais vue. Elle a écarté le battant pour me permettre d’entrer, ses yeux perçants pointés sur moi. Nous nous ressemblions à l’époque, plus qu’à l’âge adulte.

L'arminuta, Donatella Di Pietrantonio, La Bibliothèque italienne

Ainsi, dans cette scène initiale, beaucoup de choses sont dites. Le lecteur fait tout de suite connaissance avec un milieu indigent et les trois protagonistes féminins du roman. La quatrième est la mère adoptive de la petite, qui apparaîtra plus tard. On a de la peine à la vue de cette jeune fille, la valise à la main : on la voit clairement en proie à la confusion, bien rendue par le désordre parmi ses chaussures, et l’étonnement le plus violent au moment où elle attend l’ouverture de cette porte qui représente la seule ligne de partage entre sa vieille vie et son nouveau monde. À la lecture de cette première page, dense d’une signification absolue, on épreuve un serrement de cœur, mais, tout de suite, l’auteure, en nous présentant Adriana, la nouvelle petite sœur, paraît vouloir nous faire ressentir une sorte de soulagement. Adriana est une figure bizarre qui joue, dès le début, un délicat et très important rôle de liaison entre deux mondes qui sont aux antipodes l’un de l’autre. Le monde aisé de La Revenue, fait de beaux vêtements et de vacances à la mer et celui pauvre et difficile d’Adriana et de sa famille, fait de maigres repas et de violence quotidienne. Le connu et l’inconnu se mêlent au point que notre jeune protagoniste « orpheline de deux mères vivantes » perd les coordonnées de sa vie et peine à trouver son identité, ainsi que sa place dans le monde.

C’est à ce niveau que l’on comprend bien la signification du nom Arminuta, traduction italienne, ou plutôt abruzzaise (terre natale de Di Pietrantonio), du terme français La Revenue, « La Ritornata » (celle qui est de retour). Ici, le retour se fait vers quelque chose qui lui appartient d’un point de vue biologique, mais pas affectif, et c’est justement là que s’ouvre la cassure la plus profonde dans l’âme de cette adolescente à la recherche d’une mère.

À un certain point de la narration, elle dit la phrase la plus puissante, la citation la plus reprise dans les articles et les critiques littéraires, impossible à éviter :

« Je n’ai pas prononcé son nom pendant des années. Tout ce temps-là, le mot maman est resté tapi au fond de ma gorge, comme une couleuvre qui refuse de sortir », et puis elle continue en parlant de la mère comme d’« un lieu » qu’elle ne connait pas. Ou plus ?

Donatella Di Pietrantonio avance sur un territoire difficile et compliqué, tel que celui de la maternité hors des conventions (avant elle Michela Murgia avec Accabadora avait déjà excellemment exploré cette veine) et elle le fait d’une manière à la fois douce et crue. La tendresse des deux petites filles qui apprennent à s’apprécier, par exemple, se heurte à la dureté d’une langue, souvent dialectale, mais poétique.

Finalement, je crois que l’autrice parle aux mères autant qu’aux filles, et parmi ses mots on trouve, non dissimulée, une vérité aussi universelle que scandaleuse : la maternité peut aussi bien être le lieu de l’accueil absolu que celui de l’abandon le plus dur à dépasser.

DI PIETRANTONIO Donatella, L’Arminuta, Giulio Einaudi editore, 2017, 163 pages.

DI PIETRANTONIO Donatella, La Revenue, traduction de Nathalie Bauer, Le Seuil, 2016, 352 pages.

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