Impossible, d’Erri De Luca

«Impossible, c’est la définition d’un évènement jusqu’au moment où il se produit».

De Martina Petrucci.

Erri De Luca, né à Naples en 1950, est un écrivain, journaliste, poète et traducteur. Durant sa vie il a pris part à l’action politique révolutionnaire et aujourd’hui il nous offre, à travers ce livre, une approche très philosophique du rapport existant entre le pouvoir et la justice. Son roman, qui vient d’être publié en langue française aux éditions Gallimard, est l’occasion pour le lecteur de réfléchir à différentes thématiques et il a permis à l’auteur de recevoir le prix André Malraux 2020 pour la catégorie « fiction engagée ».  

Qu’est-ce qu’impossible veut dire ? L’emploi de cet adjectif nous renvoie immédiatement à quelque chose d’irréalisable, qui ne peut avoir lieu, donc exister. Ce cadre est un point de départ pour suivre la trajectoire tracée par la signification que De Luca attribue au terme « impossible », à la fois titre et thématique centrale de son livre. Selon l’auteur, une chose impossible ne l’est que jusqu’au moment où elle prend forme, puisqu’une fois qu’elle se dessine, elle se concrétise inévitablement en quelque chose qui dépasse le vraisemblable, pour se transformer en réalité.

C’est autour de cette réflexion que se construit Impossible : l’intrigue se déroule à partir de la mort d’un homme, tombé d’un sentier de montagne, dans les Dolomites. Dans la scène, un autre homme est présent et appelle la police pour demander de l’aide. Cette circonstance donne la possibilité à l’écrivain d’introduire le concept de « coïncidence » et de « préméditation » : en effet, les deux hommes qui se rencontrent dans la situation tragique ne sont pas que des inconnus, au contraire, il s’agit de deux compagnons d’un groupe révolutionnaire du passé, dont l’amitié partagée s’est interrompue à cause d’une trahison. C’est dans cette atmosphère que l’impossible se produit.

Au premier abord, le roman semble s’inscrire dans le genre policier, vu que le narration se développe lors d’un interrogatoire entre un jeune magistrat, représentant de l’État, et un vieil homme, accusé d’homicide, qui a déjà payé pour ses actions auparavant, en passant plusieurs années en prison. Toutefois, au cours de ce dialogue au style presque rhétorique, le lecteur est amené à réfléchir à certaines thématiques fondamentales, à partir desquelles le passé de l’accusé commence à se dévoiler. Les concepts traités à travers l’interrogatoire/conversation concernent surtout l’impossibilité, la coïncidence, la justice, le pouvoir, le communisme, mais aussi des valeurs humaines telles que l’amitié, le renoncement, la trahison et enfin, l’amour, un sentiment qui surgit des lettres « non-envoyées » à la femme aimée, l’Ammoremio.

De Luca veut, avec Impossible, tisser un ensemble d’exemples typiques de la condition humaine assiégée par les coïncidences et les impossibilités, où l’homme finit par s’engager pour ce qui lui tient au cœur. C’est dans l’espace de rencontre entre les idéaux et les émotions que la passion et la foi naissent. L’auteur représente cet endroit au moyen de l’image de la montagne, un lieu où le personnage principal est un étranger qui s’éloigne de son présent.

Dans son écriture engagée, l’écrivain met en lumière le rôle joué par l’action collective et la différence entre égalité et équivalence, pour conclure avec les concepts de fraternité et de liberté. Cette dernière est introduite de manière quasi poétique : en effet, l’accusé arrive à retrouver sa condition d’homme libre en conservant ses souvenirs du passé, en vivant ses expériences à la montagne, et grâce à sa capacité à rester fidèle à ses convictions. Ce qui est intéressant, c’est aussi la façon dont le personnage reste attaché à sa liberté de déplacement, à travers les perceptions sensorielles et la présence constante de la femme, éléments qui opèrent comme des formes d’évasion, de luminosité. Les sens permettent à l’homme de sortir de sa cellule où le temps coule et advient, mais également, ils lui donnent la possibilité de garder de nombreux souvenirs.

L’écriture de De Luca a une mission à accomplir : dénoncer les injustices et défendre les idéaux. En outre, l’auteur oriente constamment le dialogue vers une méditation élargie à la condition humaine. Outre l’approche sociologique, ce roman se focalise aussi sur la volonté de montrer comment la force de la parole peut devenir à son tour un moyen de défense, de protection. Enfin, on remarque la personnalité engagée de l’écrivain à l’égard de la condition ouvrière dès les premières pages du livre :

« R. Vous, vous êtes disposés à parler d’accidents du travail quand il s’agit en réalité d’homicides de travailleurs, poussés au-delà des limites de leur résistance et des conditions de sécurité. Vous qualifiez d’accidents les dizaines de milliers de blessés et le millier de morts dus au travail manuel chaque année en échange d’un salaire. »

Bibliographie en français
DE LUCA, Erri, Impossible, traduction de Danièle Valin, Gallimard, Paris, 2020, 176 pages.

Bibliographie en italien
DE LUCA, Erri, Impossibile, Feltrinelli, Milano, 2019, 125 pages.

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