Sandro Penna, le poète sans fard

Heureux celui qui est différent, étant lui-même différent.

Par Lucrezia Lombardo

Traduction de Désirée Perini

Sandro Penna, illustration de Maddalena Carrai

La diversité est peut-être la meilleure clé de lecture pour définir la production poétique de Sandro Penna, un intellectuel qui, dès le début, s’est dit « hors norme ».

Un auteur réservé et visionnaire qui, dans une simplicité linguistique extrême, parvient à dépasser tout cliché moral et stylistique. Ainsi, il faut s’approcher de la production de l’auteur en adoptant « un point de vue dissident », considérant que Penna rejette les symbolismes et la complexité typiques de l’hermétisme, pour raconter la réalité dans son caractère concret, à la manière de Umberto Saba. Sans jamais censurer l’eros qui imprègne l’existence et qui est sublimé en chant éblouissant.

Conscient de sa diversité – laquelle s’exprime aussi dans ses amours homosexuelles – Penna devient l’artisan d’une littérature qui « regarde ailleurs » et qui touche la vie à partir de la différence.

Le poète écrit en effet dans l’un de ses plus célèbres poèmes lyriques intitulé Heureux celui qui est différent : « Heureux celui qui est différent / étant lui-même différent. / Mais malheur à celui qui est différent / étant lui-même quelconque », exprimant de manière exemplaire son amour pour une diversité qui n’est rien d’autre que « l’acceptation de cette charge d’indéniable différence dont chaque individu est porteur ».

Le regard du poète se dévoile à travers des méditations solitaires, comme dans le poème Dans le lac clos, seul, sans vent : « Dans le lac clos, seul, sans vent / mon navire passe, à l’heure actuelle. / Frémissent les fleurs sous les ponts. Je sens / ma tristesse s’enflammer encore ».

Dans ces vers, l’auteur se laisse emporter par la vue de l’eau stagnante du lac, emblème d’une tristesse qui apparaît là où la compréhension surgit.

Si la diversité de Penna peut être interprétée comme source d’une inégalable liberté, elle pourrait être aussi la cause d’une douleur subtile qui s’insinue dans les pensées, quand des amours passées ne restent que les mots.

Pourtant, Penna parvient à chanter ce qui l’anime le plus : la poussée érotique et vitale, presque instinctive, qui domine la nature entière et le corps.

Voici que l’eros est maintenant « la motivation à ne pas céder » et la lumière est capable de réveiller l’âme de la mélancolie. Il écrit dans le poème Le Soleil de septembre : « Le soleil de septembre éclaircit les chants /des ouvriers. Il est déjà loin le temps / quand abandonnés au grand soleil les corps nus / bouleversaient mon cœur. Maintenant ça brille / désert la rivière. Revenu est l’homme / debout. Je ris à plus serein amour », chantant une nouvelle saison, dans laquelle le temps des juvéniles bouleversements pour la beauté des corps cède la place à un eros mûr, moins agité, mais pas moins authentique.

« La tension d’un amour différent » est l’un des thèmes récurrents dans toute la production de Penna qui aime chanter les apparitions soudaines, presque miraculeuses, des enfants qui incarnent, à la manière de Pasolini, la vitalité de la nature et de l’instinct.

Conscient de la « différence dont il est porteur », Penna compose des vers qui, dans leur sophistication, contiennent également une dure critique du moralisme bien-pensant qui avait toujours caractérisé l’Italie. Cependant, ses poèmes ne se chargent jamais d’un sens politique, mais restent chargés d’une transgression élégante qui se transforme, dans les derniers textes, en une sorte de pudeur, dans un sentiment de culpabilité voilée, notamment à partir du recueil Une étrange joie de vivre.

De ce « sentiment de culpabilité et de pudeur », qui contraste avec la force de l’eros juvénile, sont emblématiques les vers contenus dans le poème Le Jeune Garçon maigre, qui récite : « Le jeune garçon maigre rentre à la maison / un peu fatigué et très intéressé / aux choses de l’autobus. Il pense – avec cette lumière qui vient des sens / des sens / à peine il touche – de combien de manières on peut utiliser / une chose qui est nouvelle / et déjà il ne tient pas / si inaperçu de temps en temps, il touche. / Et puis, il m’aperçoit. Et refroidi / un souffle au cœur / entre deux grandes mains. / Je dois descendre et c’est peut-être une bonne chose. »

Une ombre semble désormais s’épaissir sur la vitalité, et Penna déclare désormais que descendre du bus est presque certainement une bonne chose.

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