I limoni, de Eugenio Montale

Lecture du poème “I limoni” de Eugenio Montale et commentaire de sa poétique

Lecture par Giulia Urti

Durée: 4:08 min.

Commentaire de Lucrezia Lombardo

I limoni

Ascoltami, i poeti laureati
si muovono soltanto fra le piante
dai nomi poco usati: bossi ligustri o acanti.
lo, per me, amo le strade che riescono agli erbosi
fossi dove in pozzanghere
mezzo seccate agguantano i ragazzi
qualche sparuta anguilla:
le viuzze che seguono i ciglioni,
discendono tra i ciuffi delle canne
e mettono negli orti, tra gli alberi dei limoni.

Meglio se le gazzarre degli uccelli
si spengono inghiottite dall’azzurro:
più chiaro si ascolta il susurro
dei rami amici nell’aria che quasi non si muove,
e i sensi di quest’odore
che non sa staccarsi da terra
e piove in petto una dolcezza inquieta.
Qui delle divertite passioni
per miracolo tace la guerra,
qui tocca anche a noi poveri la nostra parte di ricchezza
ed è l’odore dei limoni.

Vedi, in questi silenzi in cui le cose
s’abbandonano e sembrano vicine
a tradire il loro ultimo segreto,
talora ci si aspetta
di scoprire uno sbaglio di Natura,
il punto morto del mondo, l’anello che non tiene,
il filo da disbrogliare che finalmente ci metta
nel mezzo di una verità.
Lo sguardo fruga d’intorno,
la mente indaga accorda disunisce
nel profumo che dilaga
quando il giorno più languisce.
Sono i silenzi in cui si vede
in ogni ombra umana che si allontana
qualche disturbata Divinità.

Ma l’illusione manca e ci riporta il tempo
nelle città rumorose dove l’azzurro si mostra
soltanto a pezzi, in alto, tra le cimase.
La pioggia stanca la terra, di poi; s’affolta
il tedio dell’inverno sulle case,
la luce si fa avara – amara l’anima.
Quando un giorno da un malchiuso portone
tra gli alberi di una corte
ci si mostrano i gialli dei limoni;
e il gelo dei cuore si sfa,
e in petto ci scrosciano
le loro canzoni
le trombe d’oro della solarità.

MONTALE, Eugenio, I limoni, dans Ossi di seppia, Piero Gobetti Editore, 1925

Les citrons

Écoute-moi:

au nom peu usité:

les poètes à lauriers

n’évoluent que parmi les plantes

buis troènes ou acanthes.

Pour moi, j’aime les routes

qui mènent aux fossés herbeux

où dans les flaques à moitié asséchées

les gamins attrapent

quelque chétive anguille:

les sentiers qui longent les abrupts

descendent entre les touffes de roseaux

et donnent dans les enclos, parmi les citronniers.

Tant mieux si le tapage des oiseaux

s’éteint englouti par le ciel bleu :

plus clairement on écoute murmurer

les branches amies dans l’air qui bouge à peine

et on goûte cette odeur

qui ne sait pas se détacher de terre

et inonde le cœur d’une douceur inquiète.

Écartées d’ici, les passions

font par miracle taire leur guerre,

ici revient même à nous pauvres

notre part de richesse

et c’est l’odeur des citrons.

Vois-tu,

en ces silences où les choses s’abandonnent

et semblent près de trahir leur ultime secret,

parfois on s’attend

à découvrir un défaut de la nature,

le point mort du monde,

le chaînon qui ne tient pas,

le fil à démêler qui enfin nous conduise

au centre d’une vérité.

Le regard fouille tout autour,

l’esprit enquête accorde sépare

dans le parfum qui se répand

à mesure que le jour languit.

Ce sont les silences où l’on voit

en chaque ombre humaine qui s’éloigne

quelque Divinité qu’on dérange.

Mais l’illusion cesse et le temps nous ramène

dans les villes bruyantes

où le bleu se montre par pans, seulement,

là-haut, entre les toits.

La pluie fatigue la terre, ensuite;

l’ennui de l’hiver accable les maisons,

la lumière se fait avare, amère l’âme.

Quand un jour d’une porte cochère mal fermée

parmi les arbres d’une cour

se montre à nous le jaune des citrons;

et le gel du cœur fond,

et en pleine poitrine nous déversent

leurs chansons

les trompettes d’or de la solarité.

MONTALE, Eugenio, Poèmes choisis 1916-1980, Poésie/Gallimard, 1999

Une poésie de l’éblouissement

S’il y a bien un texte capable de foudroyer ses lecteurs avec l’intuition du mystère de la vie, c’est sans aucun doute I limoni de Eugenio Montale.

La vérité qui se cache derrière ce mystère est au centre de l’écriture de Montale. Le poète ligurien n’en donne jamais une définition claire, mais il s’y essaye par le rapprochement, à travers des exemples concrets et des images qui évoquent l’authenticité et la simplicité de la terre.

« […] ici revient même à nous pauvres / notre part de richesse / et c’est l’odeur des citrons » : dans ces vers, l’agrume doré est élevé au rang de richesse des pauvres. Montale utilise cette image pour définir ce qu’est pour lui la beauté, c’est-à-dire quelque chose qu’un regard ambitieux et fier ne peut atteindre, parce qu’elle est faite de choses qui s’éloignent des discours retentissants des poètes à lauriers et des grands savants. Les véritables sages, selon le poète, sont ceux qui sont capables de s’apercevoir de la beauté contenue dans les choses les plus simples.

« Vois-tu, / en ces silences où les choses s’abandonnent / et semblent près de trahir leur ultime secret, / parfois on s’attend / à découvrir un défaut de la nature, / le point mort du monde, / le chaînon qui ne tient pas, / le fil à démêler qui enfin nous conduise / au centre d’une vérité », écrit encore Montale en faisant référence au besoin inné de l’homme de décrypter la réalité. La comprendre, arriver à en tirer un schéma rationnel, signifie éloigner le poids du chaos, de l’imprévisible, se protéger en agissant comme si « le secret du monde » était un mystère à résoudre, une erreur à corriger, un fil à démêler. Après tout, c’est ainsi que nous apparaissent la douleur et l’impuissance, comme des anomalies à soigner.
Et pourtant Montale s’oppose à cette lecture du monde comme énigme à résoudre, pour laquelle une solution peut exister : ses vers nous appellent à abandonner le point de vue commun. Si la définition classique de la vérité la veut nette, vivace, évidente pour tous et, par conséquent, objective et universelle, le poète semble au contraire se demander si la vérité n’est pas singulièrement impossible à reproduire, si son seul caractère objectif n’est pas en réalité sa nature subjective.

Cependant, on ne peut pas dire que Montale prêche un relativisme des valeurs : dans ses textes, l’auteur génois veut plutôt transmettre toute la souffrance qui découle de l’impossibilité de croire à une vérité définitive, révélée. Le poète nous montre son effort d’excavation pour sonder l’existence même des choses et le terrible constat de l’impossibilité de la tâche.

La quête sans fin est la véritable âme de la production poétique montalienne, qui est imprégnée de philosophie existentialiste. La vie est élusive par nature, mais c’est bien dans sa fluidité que réside son pouvoir de création, cette force qui ne se laisse pas discipliner et ose féconder les terrains les plus hostiles. Devant ce constat, le pessimisme de qui ne peut s’empêcher d’admettre la fragilité humaine et le caractère éphémère de sa beauté s’écarte pour laisser sa place à la révélation. Il s’agit d’une révélation laïque, intérieure, qui prend vie seulement dans les rares instants où notre perception s’aligne sur le monde extérieur, ou mieux, s’aligne sur l’un de ses fragments, peut-être comme un citron. La simplicité devient alors un espoir de lumière dans le regard du poète.

Dans les vers de Montale, les constructions métaphysiques s’écroulent et la poésie civile engagée cède la place à un lyrisme du ressenti humain sans masque ni besoin de résoudre les contradictions. La production de ce poète peut d’ailleurs être définie comme une poésie de l’éblouissement : brève et foudroyante comme l’enfance, elle est similaire à la lumière du petit matin qui pénètre, légère, dans les chambres, se faufilant parmi les rideaux.

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