Conversation avec Paolo Grossi, directeur de newitalianbooks

“Le lecteur a toujours tendance à rechercher dans les livres étrangers une confirmation de ses propres préjugés”

Directeur-adjoint de l’Institut culturel italien de Paris de 2003 à 2008, Paolo Grossi a aussi dirigé l’Institut culturel italien de Stockholm de 2008 à 2012. De 2014 à 2019, il a assuré la direction de l’Institut culturel italien de Bruxelles.  En 2004, il a créé la collection d’études et de textes de littérature italienne « Cahiers de l’Hôtel de Galliffet », publiée par l’Istituto italiano di Cultura de Paris. Depuis 2020, il dirige pour Treccani le portail en ligne Newitalianbooks, consacré à la promotion du livre italien à l’étranger.

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Votre parcours professionnel est particulièrement riche et varié. Vous avez assuré plusieurs rôles importants dans le cadre de la promotion de la littérature italienne à l’étranger.  Je vous propose de parcourir les étapes de votre carrière pour explorer les différents aspects de votre travail.

Mon parcours professionnel a été marqué par des changements assez fréquents de direction : enseignant de littérature italienne (Universités d’Uppsale et de Caen) ; responsable DRH dans le secteur privé (Olivetti) ; organisateur de concerts de musique ancienne (Milan, Turin) ; éditeur et consultant dans le domaine de l’édition (Paris, Rome) ; dirigeant public auprès du ministère italien des Affaires étrangères (Paris, Stockholm, Bruxelles, Rome). Le dénominateur commun de ce parcours irrégulier et parfois un peu déroutant est le fait qu’il s’est surtout déroulé à l’étranger, ce qui me permet, en fin de compte, de dire que la médiation interculturelle a été mon véritable domaine d’activité.

D’après votre expérience, quelles sont les différentes perceptions de la littérature italienne en France, en Suède et en Belgique ? Qui sont les auteurs et les thématiques les plus appréciés et éventuellement les « stéréotypes » qui définissent le goût pour la littérature italienne dans ces pays ?

Les stéréotypes ne cessent de jouer un rôle important dans l’orientation du goût littéraire. Le lecteur, qu’il soit belge, suédois ou français, a toujours tendance à rechercher dans les livres étrangers une confirmation de ses propres préjugés. On pourrait s’interroger, par exemple, sur les raisons subjacentes au succès international des livres d’Elena Ferrante… Cela dit, mon objectif, en tant qu’opérateur culturel, a toujours été de décevoir les attentes du public paresseux, de créer la surprise, de dynamiter les clichés. C’est un exercice parfois difficile, qui risque de susciter beaucoup d’incompréhensions. Mais il est salutaire et nécessaire.

Dans la collection des “Cahiers de l’Hôtel de Galliffet” que vous dirigez, on peut remarquer la publication des œuvres de Leonardo Sciascia, Goffredo Parise, Anna Maria Ortese, Nella Nobili, Antonio Delfini et Antonio Tabucchi. Cette année, la collection arrivera à son cinquantième titre avec la publication d’un choix de textes des Faville del maglio de Gabriele d’Annunzio. Pourriez-vous nous parler de la ligne éditoriale de la collection, du choix des textes et des prochaines parutions prévues ?

Nés en 2004 et destinés à l’origine à la publication des actes de colloques et de journées d’études sur les questions au programme du CAPES et de l’agrégation d’italien organisés par l’Institut culturel italien de Paris, au fil du temps, les Cahiers de l’Hôtel de Galliffet ont évolué pour devenir une collection proposant de découvrir ou de redécouvrir, dans leur traduction française, des œuvres et des auteurs de la littérature italienne contemporaine, allant de la fin du XIXe siècle à nos jours. Le lecteur y trouvera des titres rares et souvent épuisés même en Italie, des poésies d’Anna Maria Ortese aux essais de Nicola Chiaromonte, des textes en prose de Piero Jahier aux pages mémorables d’Antonio Delfini sur la Chartreuse de Parme. Parmi les parutions les plus récentes, je tiens à mentionner notamment le recueil de textes autobiographiques inédits d’Antonio Tabucchi (Tabucchi par lui-même) ; le roman d’Alberto Vigevani (Un dénommé Ramondès), brillante et ironique évocation des milieux littéraires antifascistes milanais au moment de l’entrée en guerre de l’Italie, le 10 juin 1940, et le recueil de tous les écrits sur Stendhal de Leonardo Sciascia (Stendhal for ever). Dans les années à venir, mon objectif sera toujours de mettre en valeur, auprès du public français, des auteurs et des œuvres du Novecento italien souvent ignorées ou oubliées. Parmi les prochaines parutions, je signale une nouvelle édition, revue et augmentée, des Poèmes de Giorgio Bassani (publication prévue à l’occasion d’un colloque sur « Giorgio Bassani poeta », que j’organise le 15 octobre à Paris avec la Fondation Bassani) ; la première traduction en français du roman L’Integrazione (1960) de Luciano Bianciardi, dont le centenaire de la naissance est imminent (1922-2022), et un recueil d’essais de Giorgio Manganelli. Mais en ce moment je travaille aussi à d’autres projets que je préfère ne pas dévoiler, per scaramanzia

Au départ bilingue, italien et anglais, le site newitalianbooks offre une version en français depuis le mois d’avril 2020. Pourriez-vous nous parler du projet du site ?

J’ai travaillé à la création d’une plateforme web consacrée à la promotion du livre italien à l’étranger pendant dix ans, de 2012 à aujourd’hui. Ce serait trop long de reconstruire en détail l’histoire de ce projet. Je rappellerai seulement que newitalianbooks est né il y a un an avec l’objectif de promouvoir le livre italien dans le monde entier. Édité par l’Institut Treccani de Rome, newitalianbooks est une initiative soutenue par le ministère italien des Affaires étrangères et le Cepell, c’est-à-dire le Centre pour le livre et la lecture du ministère italien de la Culture, avec la collaboration de l’AIE (Association des Éditeurs Italiens). Il s’agit donc d’un portail institutionnel qui a l’ambition de mettre en relation les différents acteurs de la filière de l’édition en Italie et à l’étranger et de contribuer ainsi à la diffusion internationale du livre italien. Tous les éditeurs, quelle que soit leur taille, peuvent avoir un accès libre au site, gratuitement et sans limite de titres.

Né bilingue (en italien et en anglais), depuis le mois d’avril newitalianbooks est aussi en français et permet donc aux éditeurs francophones de découvrir dans leur langue les nouveaux livres publiés en Italie dans tous les domaines : de la fiction à la BD, de la littérature pour la jeunesse au livre pratique, des essais au livre d’art. Ce sont les éditeurs italiens eux-mêmes qui aliment notre site, en nous envoyant régulièrement les fiches de leurs nouveautés, avec toutes les données nécessaires pour contacter les responsables des droits : le lecteur y trouvera les synopsis des livres, les biographies des auteurs, mais aussi des extraits et des renseignements sur les droits déjà vendus à l’étranger et sur les prix littéraires obtenus. À ce jour, le portail accueille environ 1600 fiches, qui ont été téléchargées par plus de 260 éditeurs et agents littéraires italiens.

Mais newitalianbooks se veut aussi un instrument au service de tous ceux qui travaillent dans le secteur du livre (éditeurs et agents, bien sûr, mais aussi traducteurs, libraires, bibliothécaires, etc.) ; dans cette perspective, une attention particulière doit être accordée à la section “Approfondissements” du portail, qui comprend des enquêtes sur le monde de l’édition, des interviews de ses protagonistes, des bases de données de traducteurs et des informations sur les principaux dispositifs publics de soutien à la traduction. En plus des enquêtes et des entretiens, il y a une section qui propose des dossiers consacrés aux auteurs italiens en traduction. Des dizaines et des dizaines de spécialistes du monde entier nous envoient régulièrement de brefs profils de la situation des traductions de nos auteurs les plus importants, des classiques aux auteurs contemporains. Il s’agit de sondages très synthétiques qui permettent d’évaluer comment les éditeurs des différents pays du monde vivent leur relation avec les auteurs italiens. Les résultats, s’ils sont lus attentivement, sont souvent surprenants et peuvent aider à orienter les choix des éditeurs. Il s’agit d’ailleurs d’un domaine d’étude peu exploré en Italie. En effet, il n’existe pas de bases de données qui recueillent systématiquement des informations sur les traductions des œuvres italiennes dans les différentes langues du monde. Dans ce sens, newitalianbooks veut être aussi une plateforme pour l’étude de la vitalité internationale des auteurs italiens. Cette ambition d’agir comme un observatoire du livre italien à l’étranger ne peut que renforcer la mission originale et fondamentale du portail, qui reste celle de contribuer à l’internationalisation de notre industrie éditoriale.

Jusqu’à présent, les réponses des éditeurs sont prometteuses : nombre d’entre eux ont déclaré que, grâce à newitalianbooks, ils ont reçu des manifestations d’intérêt de la part d’éditeurs de pays avec lesquels ils n’avaient jamais eu de relations auparavant. Ce retour est très important pour nous, il nous encourage à continuer sur la voie que nous avons empruntée : notre prochaine étape sera celle de renforcer notre ouverture internationale avec une version en allemand, en prévision du rendez-vous de la Foire de Francfort 2024 où l’Italie, comme on le sait, sera l’invitée d’honneur. À l’horizon 2022, notre ambition est donc de pouvoir proposer aux éditeurs un site web quadrilingue, grâce au soutien de nos deux ministères de tutelle, les Affaires étrangères et la Culture.

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