Rien pour elle, de Laura Mancini

« Un soir comme les autres […] j’avais appris en un éclair – un coup sans doute trop dur pour la petite fille que j’étais – que tout ce qui m’était le plus cher était destiné à souffrir. »

De Martina Petrucci

« Ce jour-là j’avais décidé que je ne baisserais jamais les yeux la première. » 

Rien pour elle, de Laura Mancini, c’est l’histoire d’une fillette qui fait face aux difficultés de la vie comme une véritable guerrière : « Un soir comme les autres […] j’avais appris en un éclair – un coup sans doute trop dur pour la petite fille que j’étais – que tout ce qui m’était le plus cher était destiné à souffrir. »

C’est en partant de ce moment d’épiphanie que nous allons vous présenter le premier roman de Laura Mancini : un texte d’une écriture très forte tournant autour d’une petite protagoniste, témoin des évènements qui ont bouleversé la ville de Rome pendant et après la guerre.

Le roman aborde différentes thématiques, telles que la pauvreté du sous-prolétariat urbain, la guerre, la mort, les injustices et l’humiliation. Tullia n’a que six ans lorsqu’elle commence à se préoccuper de préserver le nom de sa famille, dont la mère représente une figure autoritaire, sévère et absente.

Le livre s’ouvre avec l’image de Rome bombardée pendant la guerre, période durant laquelle tout le monde se cachait sous terre, en réalisant que « la vie d’avant finissait pour toujours juste à cet instant-là, et que personne, pas même mon père, n’avait imaginé la vie d’après. » Dans ce contexte, où la petite fille voit sa maison s’effondrer, ainsi que son quartier et sa ville, il est difficile de « comprendre le bruit des bombes », la cendre, la peur et le silence envahissant.

L’autrice nous invite à vivre la guerre à travers les yeux de l’enfant, qui réussit à s’échapper des circonstances tragiques grâce à l’imagination. En effet, au lieu de dormir, Tullia trouve refuge dans les images des objets qu’elle est capable de décrire par cœur mentalement, le « spectacle des choses », comme elle le définit. Ce type de distraction met en relation deux catégories générationnelles différentes, à savoir les adultes et les enfants. Le point de vue de ces derniers donne la possibilité au lecteur de regarder la réalité d’un autre point de vue.

Toutefois, ce roman est consacré à deux protagonistes : Tullia et la ville de Rome. Ainsi, la croissance accélérée de la fillette se fait au fur et à mesure que la capitale subit des transformations au fil du temps, jusqu’à arriver en 1990.

Les paysages intérieurs de la petite fille sont en pleine discordance avec le monde extérieur, de même que l’éternité de Rome est mise à rude épreuve par les bombardements.

Ce qui caractérise l’écriture de Laura Mancini est notamment sa manière de mélanger le voyage intime de l’héroïne avec les mots de la narratrice. Ce flou de la conscience, enrichi par une technique descriptive particulièrement suggestive, permet à la fois de suivre le point de vue de Tullia et de « boire » des yeux les paysages verts et les ruelles colorées du quartier San Lorenzo, où les constructions sont rouges, jaunes et marron et le linge « étendu comme un sourire ».

Ce qui est intéressant, également, dans ce roman, c’est qu’il tourne autour d’un seul mot clé : l’adverbe « rien ». À travers un jeu de répétition, ce terme parcourt tout le texte en faisant référence à ce que la guerre et la mort laissent aux survivants. Avec les années, la petite fille devient une jeune femme en conflit avec le monde injuste, qui ne cesse de lui faire obstacle, mais c’est en passant par ces difficultés qu’elle découvre sa grande curiosité pour les mots, une passion « sans frein jaillie de nulle part ».

Ce qui caractérise le mieux la figure de Tullia, c’est sans doute sa façon sensible de réfléchir aux zones d’ombre de la vie : en effet, en observant les choses qui l’entourent, elle s’interroge sur l’absurdité de la réalité qui persiste, même quand la mort frappe. Cette prise de conscience a lieu lors de l’observation d’objets qui continuent de rester immobiles, nonobstant le bouleversement intérieur qu’on peut ressentir après la perte d’un être aimé.

Avec son ton critique et son ironie amère, Rien pour elle nous donne l’occasion de méditer sur l’histoire en adoptant le regard courageux d’une fillette dont la naïveté a été volée trop tôt. D’un côté, le paysage intérieur de l’héroïne émerge à chaque fois que le désarroi et l’incommunicabilité se manifestent et la poussent à rechercher un sens mystérieux, déguisé à travers les mots. De l’autre côté, la perception des choses concrètes et des personnes offre la clé de lecture du paysage extérieur, c’est-à-dire : Rome.  

Bibliographie italienne
MANCINI, Laura, Niente per Lei, coll. Dal mondo, Éditions E/O, 2020, pp. 224.

Bibliographie française 
MANCINI, Laura, Rien pour elle, traduction de Lise Chapuis et Florence Courriol, Éditions Agullo, 2022, pp. 296.

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